Ce cavalier qui court vers la montagne,
Inquiet, pâle au moindre bruit,
C’est Boabdil, roi des Mores d’Espagne,
Qui pouvait mourir, et qui fuit !
Aux Espagnols Grenade s’est rendue ;
La croix remplace le croissant,
Et Boabdil pour sa ville perdue
N’a que des pleurs et pas de sang...
Sur un rocher nommé Soupir-du-More,
Avant d’entrer dans la sierra,
Le fugitif s’assit, pour voir encore
De loin Grenade et l’Alhambra :
« Hier, dit-il, j’étais calife ;
Comme un Dieu vivant adoré,
Je passais du Généralife
À l’Alhambra peint et doré!
J’avais, loin des regards profanes,
Des bassins aux flots diaphanes
Où se baignaient trois cents sultanes ;
Mon nom partout jetait l’effroi !
Hélas ! ma puissance est détruite ;
Ma vaillante armée est en fuite,
Et je m’en vais sans autre suite
Que mon ombre derrière moi !
« Fondez, mes yeux, fondez en larmes !
Soupirs profonds venus du cœur,
Soulevez l’acier de mes armes :
Le Dieu des chrétiens est vainqueur !
Je pars ! adieu, beau ciel d’Espagne,
Darro, Jénil, verte campagne,
Neige rose de la montagne !
Adieu, Grenade, mes amours !
Riant Alhambra, tours vermeilles,
Frais jardins remplis de merveilles,
Dans mes rêves et dans mes veilles,
Absent, je vous verrai toujours ! »