I
Ma vieille tante Gribiche,
En fermant les yeux,
Ne laissa, n'étant pas riche,
Rien de précieux.
Hier on fit le partage
Du pauvre butin,
Et j'eus pour tout héritage
Son réveil-matin.
II
Or, cette samaritaine
Vient mal à propos :
Il faut à ma soixantaine
Beaucoup de repos.
Pour que le sommeil m'abrège
Un triste destin.
Voyons à qui donnerai-je
Mon réveil-matin ?
III
Ce petit clerc de notaire,
Que je vois là-haut,
A, dit-on, beaucoup à faire,
C'est ce qui lui faut.
Mais il lorgne la voisine,
Brune à l'œil mutin,
Qui lui tient lieu, j'imagine,
De réveil-matin.
IV
Ce monsieur, qui n'a ni rentes
Ni profession,
Suit les modes délirantes
De la fashion ;
Dans son logis que tapisse
Velours ou satin,
Les créanciers font l'office
De réveil-matin.
V
Cet autre, à l'œil de vipère,
Qui loge au grenier,
N'est bon époux ni bon père.
Il est usurier.
Au jour l'écho me rejette
Un son argentin,
Cet homme a dans sa cassette
Son réveil-matin.
VI
Voici la douce Marie
Dont le père est mort,
La pauvre enfant pleure, prie,
Soupire et s'endort ;
Orpheline, elle est sans armes
Contre le destin ;
Ne donnons pas à ses larmes
Un réveil-matin.
VII
Plus bas, quelle joie éclate ?
Bon, j'ai deviné,
L'heureux ménage d'Agathe
Compte un premier né.
Dieu, quand il met sur la terre
L'ange ou le lutin,
Attache au cœur d'une mère
Un réveil-matin !
VIII
Triste ou gai, dans cette vie,
Chacun a le sien,
Et personne, je parie,
Ne voudra du mien.
Si l'on me fait cette niche
J'irai, c'est certain,
Rendre à ma tante Gribiche
Son réveil-malin.