Le Rempart

 
Donnez-moi votre main, asseyons-nous, ma belle,
Sur ces palis rompus ; tiens, vois la citadelle
Au milieu des ravins ainsi qu’un bloc géant ;
De l’antique Babel on dirait une marche,
Ou, captive aux sommets des montagnes, une arche
Fatiguant de son poids l’univers océan.

Des qui vive ! lointains, des cliquetis, écoute,
Entends-tu ces clameurs du fort à la redoute ?

Là, des casques mouvants, des forêts de mousquets,
La herse qui gémit, le bruit des huisseries :
On dirait le donjon semé de pierreries,
À ces feux plus nombreux qu’en de royaux banquets.

Tu vois, je t’obéis : de mon indifférence
Es-tu contente assez ? Pour moi, quelle souffrance !
Être seul avec toi sans t’accabler d’amours !
Non, non, ça ne se peut, tu m’apparais trop belle,
Adieu tous mes serments ; l’amitié fraternelle
N’est point faite pour nous : va, je brûle toujours !

Oh ! que tu es enfant ! Respecter des sottises
Et de fats préjugés ; te courber aux bêtises
D’un monde qui nous hait, et qui fait des vertus
Dont rougirait ton Dieu ! Crois-tu de la nature
La voix folle et trompeuse ? Oh ! cesse ma torture,
Si tu neveux régner sur des murs abattus.

Or cet amour auquel tu te montres revêche,
En toi tout le décèle et tout en toi le prêche ;
Le galbe de ton sein, ton regard souriant,
Ton pas vite et léger, ou ta molle paresse,
Ton organe suave et ta main qui caresse…
Tout force à raffolir le plus insouciant.

Avant nous, des amants, qui, sur l’herbe discrète,
Ont passé plus heureux, sais-tu le nom ? coquette !
Qui leur dira le tien ? ce lieu ne trahit pas !
Tu pleures maintenant : oh ! délirante ivresse !
Que ton silence est doux à mon cœur qui s’oppresse ;
J’étouffe do plaisir dans l’anneau de tes bras !

Toi, qui fus si longtemps écho de mon supplice,
Nuit ! prolonge pour moi cette nuit, ce délice.
Que nos tourments sont longs, que nos bonheurs sont courts !
Oui ! je la bénirais, j’embrasserais la bombe
Qui viendrait nous tuer et creuser notre tombe.
Mais la mort est pour moi sans glaive et sans secours !

Collection: 
1829

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