Prologue

À LÉON CLOPET, architecte.

"Voici, je m'en vais faire une chose nouvelle
qui viendra en avant ; et les bêtes des champs,
les dragons et les chats-huants me glorifieront."
La Bible.

Quand ton Petrus ou ton Pierre
N'avait pas même une pierre
Pour se poser, l'oeil tari,
Un clou sur un mur avare
Pour suspendre sa guitare, -
Tu me donnas un abri.

Tu me dis : - Viens, mon rhapsode,
Viens chez moi finir ton ode ;
Car ton ciel n'est pas d'azur,
Ainsi que le ciel d'Homère,
Ou du provençal trouvère ;
L'air est froid, le sol est dur.

Paris n'a point de bocage,
Viens donc, je t'ouvre ma cage,
Où, pauvre, gaiement je vis ;
Viens, l'amitié nous rassemble,
Nous partagerons, ensemble,
Quelques grains de chenevis. -

Tout bas, mon âme honteuse
Bénissait ta voix flatteuse
Qui caressait son malheur ;
Car toi seul, au sort austère
Qui m'accablait solitaire,
Léon, tu donnas un pleur.

Quoi ! ma franchise te blesse ?
Voudrais-tu que, par faiblesse,
On voilât sa pauvreté ?
Non, non, nouveau Malfilâtre,
Je veux, au siècle parâtre,
Étaler ma nudité !

Je le veux, afin qu'on sache
Que je ne suis point un lâche,
Car j'ai deux parts de douleur
À ce banquet de la terre ;
Car, bien jeune, la misère
N'a pu briser ma verdeur.

Je le veux, afin qu'on sache
Que je n'ai que ma moustache,
Ma chanson et puis mon coeur,
Qui se rit de la détresse ;
Et que mon âme maîtresse
Contre tout surgit vainqueur.

Je le veux, afin qu'on sache,
Que, sans toge et sans rondache,
Ni chancelier, ni baron,
Je ne suis point gentilhomme,
Ni commis à maigre somme
Parodiant lord Byron.

À la cour, dans ses orgies,
Je n'ai point fait d'élégies,
Point d'hymne à la déité ;
Sur le flanc d'une duchesse,
Barbotant dans la richesse
De lai sur ma pauvreté.

Collection: 
1834

More from Poet

  • À LÉON CLOPET, architecte.

    "Voici, je m'en vais faire une chose nouvelle
    qui viendra en avant ; et les bêtes des champs,
    les dragons et les chats-huants me glorifieront."
    La Bible.

    Quand ton Petrus ou ton Pierre
    N'avait pas même une pierre
    Pour se...

  • J'habite la montagne et j'aime à la vallée.
    LE VICOMTE D'ARLINCOURT.

    Ô toi, dont j'avais fait l'emplette
    Pour danse au bois neige-noisette !
    L'as-tu toujours, ma Jeanneton,
    Ton jupon blanc, ton blanc jupon ?

    Pour quelque muscadin, matière à comédie,
    Ne...

  • La faim mit au tombeau Malfilâtre ignoré.
    GILBERT.

    À mon air enjoué, mon rire sur la lèvre,
    Vous me croyez heureux, doux, azyme et sans fièvre,
    Vivant, au jour le jour, sans nulle ambition,
    Ignorant le remords, vierge d'affliction ;
    À travers les parois d'une...

  • (à Gérard, poète)

    Sous le soleil torride au beau pays créole,
    Où l'Africain se courbe au bambou de l'Anglais,
    Encontre l'ouragan, le palmier qui s'étiole
    Aux bras d'une liane unit son bois épais.

    En nos antiques bois, le gui, saint parasite,
    Au giron d'une...

  • À André Borel.

    Pauvre bougre !
    JULES JANIN.

    Là dans ce sentier creux, promenoir solitaire
    De mon clandestin mal,
    Je viens tout souffreteux, et je me couche à terre
    Comme un brute animal.
    Je viens couver ma faim, la tête sur la pierre,
    Appeler le...