Dans la paisible rue où je passe souvent,
Un jour d’hiver, devant la porte d’un couvent,
Je vis avec fracas, s’arrêter des carrosses.
Tous les chevaux portaient, ainsi que pour des noces,
Une rose à l’oreille ; et les laquais, poudrés
Et superbes, tout droits sur leurs mollets cambrés,
Se tenaient à côté des portières ouvertes,
D’où sortaient, de velours et d’hermine couvertes,
Des femmes au regard de glace, au front hautain.
Je vis descendre aussi, sur ce trottoir lointain,
Des vieillards abritant de lévites fourrées
Leurs poitrines de croix et d’ordre chamarrées,
Des prélats violets, un cardinal romain,
Enfin le monde altier du faubourg Saint-Germain
Tous ces patriciens, aux grands airs durs et roides,
Se firent sur le seuil des politesses froides,
Puis après maints saluts pour se céder le pas,
Entrèrent dans l’église en mettant chapeau bas.
Et, lorsque fut enfin la foule disparue
Et qu’il ne resta plus dans la petite rue
Que les carrosses lourds aux panneaux blasonnés,
En écoutant causer deux drôles galonnés,
Je sus qu’il s’agissait d’une prise de voile.
Ainsi, c’est ton rayon suprême, ô pure étoile,
C’est, ô candide fleur, ton suprême parfum,
Qui réunissent là tout ce monde importun !
Que t’apporte-t-il donc ? Une pitié banale.
Lorsque, offrant à Jésus ton âme virginale,
Tu viendras, le front pâle et les membres tremblants,
Telle qu’une épousée en tes longs voiles blancs,
Lorsque tu jureras, d’une voix frémissante,
D’être pauvre toujours, chaste, humble, obéissante,
Et que tu sentiras un frisson dans tes os
Au froid contact, au bruit sinistre des ciseaux
Coupant brutalement tes boucles parfumées,
Que se passera-t-il dans les âmes gourmées.
De ces heureux du jour, de tous ces contentés,
Qui, jusqu’aux pieds de Dieu, traînent leurs vanités ?
De quel enseignement sera ton sacrifice ?
L’un à quelque folie et l’autre à quelque vice
Retourneront sans doute au sortir de ce lieu,
Pauvre fille, où tu viens de dire au siècle adieu.
Ce soir, lorsque, ayant bu jusqu’au fond le calice,
Lasse d’être à genoux, saignant sous ton cilice
Et laissant jusqu’au sol tes mains jointes tomber,
Tu frémiras, craignant un jour de succomber
Sous le faix écrasant de tes saintes fatigues,
Ces hommes replongés déjà dans leurs intrigues,
Ces femmes se parant pour un plaisir nouveau,
T’oublieront dans ton cloître ainsi qu’en un tombeau !
Mais j’ai tort, ô ma sœur ! Mon âme peu chrétienne,
Ne sait pas s’élever au niveau de la tienne.
C’est parce que le monde est justement ainsi
Que ta jeunesse en fleur va se faner ici.
Pour tout le mal commis par les hommes impies,
Tu t’offres en victime innocente et l’expies.
Dans la stricte balance, au dernier jugement,
Tu crois qu’il suffira peut-être seulement,
Pour voir se relever le plateau des scandales,
Du poids de tes cheveux répandus sur les dalles.
Tu vas veiller, jeûner, languir, mais tu le veux.
Dans toute la rigueur accomplis donc tes vœux.
Le fardeau des péchés du monde est rude et grave,
Ma pauvre sœur ! Pour tous les tyrans, sois esclave ;
Sois chaste, ô sainte enfant, pour tous les corrompus ;
Bonne, pour les pervers ; sobre, pour les repus ;
Sois pauvre, l’on voit tant d’avarices vantées ;
Souffre, il est des heureux ; prie, il est des athées !
Comme à Marie a dit l’archange Gabriel :
« Sois bénie ! » et quand même – affreux soupçon ! – le ciel
Vers qui tu tends tes bras suppliants serait vide,
Quand ce serait en vain, cœur d’idéal avide,
Que pour les égarés et les impénitents,
Étant belle, étant noble et riche, ayant vingt ans,
Tu viendrais d’accepter cette lente agonie,
Pour ton erreur sublime, ô ma sœur, sois bénie !