Pauvres Ames - Douceur

PAUVRES AMES !

J’ai grand’pitié des faibles âmes,
Eternel jouet du destin,
Qui brillent à peine un matin,
Pauvres, pauvres petites flammes !

Ah ! ce matin, qu’il est charmant !
Et quel souvenir on en garde !
Comme il vous suit et vous regarde,
Bleu toujours ineffablement !

Dans un flot de lumière blonde
S’éveille le village heureux.
Hourrah ! Place à l’aventureux
Qui s’en va conquérir le monde !

Et l’eau vive et le bois chenu
Disent en vain à l’infidèle :
— « Reste-nous ! » — Comme l’hirondelle,
Il se lance dans l’inconnu.

Du haut des monts que l’aube irise,
Que l’univers lui paraît grand !
Que l’air des bois est enivrant !
Comme la mer fuit sous la brise !

Hélas ! voici qu’aux premiers pas,
Lassé de sa course sublime,
Il chancelle. — Et, là-bas, la cime
Resplendit, qu’il n’atteindra pas !

Pourtant il est plein d’espérance ;
Il se confie en sa bonté.
Des rêves d’immortalité
Lui tombent du soleil de France.

Quelques mots du rite chrétien
Flottent encore en sa mémoire :
S’il doute, hésite, et ne peut croire,
Il voudrait faire un peu de bien.

Ame d’amour et de faiblesse,
Cœur simple, presque adolescent,
En sa peine il est innocent
Jusqu’à sourire à qui le blesse.

Les femmes ont les yeux si doux !
Si candide est l’adieu des roses !
Il se dit de si tendres choses,
Vers le soir, dans le bois des houx !

Comme un éclair déchire l’ombre,
Souvent triste et parfois chantant,
L’Amour illumine un instant
Sa nuit, qui redevient plus sombre.

Le voilà prêt à repartir,
Et tout se teint d’un bleu céleste.
Une heure après il ne lui reste
Qu’un peu de cendre, un repentir.

En vain s’entr’ouvre l’églantine.
— Halte, halte I Qui donc vient là ? —
Eh ! l’éternelle Dalila
Guidant la horde philistine.

Et c’est bien fini désormais,
Car tout l’irrite et tout le froisse.
Il attend, plongé dans l’angoisse,
Un secours qui ne vient jamais.

Tandis que le soir va descendre,
Le soir trouble qui fait rêver,
Il se cherche sans se trouver,
S’interroge sans se comprendre.

Comme ces grands oiseaux de mer
Qu’on entend crier dans l’orage,
Sans force, désir ni courage
Il flotte, flotte au gré de l’air.

Du profond de sa solitude,
Il se contente de pleurer.
Il voudrait encore espérer,
Il en a perdu l’habitude.

O chères âmes du bon Dieu,
Eternellement douloureuses,
Combien vous seriez plus heureuses,
Alouettes du grand ciel bleu !

DOUCEUR

De la musique avant toute chose !
(PAUL VERLAINE.)

De la douceur avant toute chose,
De la douceur et de la bonté !
Que toujours flotte, au vent enchanté,
Dans l’azur tendre, une douce rose !

Sous les rosiers marche doucement.
Effeuille, en passant, la fleur nouvelle.
Sans y penser, laisse en ta cervelle
S’épanouir le rêve charmant.

Sois bon pour tous comme pour toi-même.
Pur ? Je ne dis pas. C’est trop lointain.
Ouvre ton cœur au ciel du matin,
Et rappelle-toi qu’il faut qu’on aime.

Ecoute la brise au parler si doux.
Regarde l’Aurore. Elle est si blonde !
Sois, en ce cruel et triste monde,
La violette au milieu des houx.

Ne juge pas ; n’accuse personne.
N’as-tu rien, toi, qu’on puisse blâmer ?
Frère, souviens-toi qu’il faut aimer.
Écoute, au loin, l’Angélus qui sonne.

Si quelque pauvre âme, en son chemin,
Tremble et défaille au mal qui l’oppresse,
Oh ! n’ajoute pas à sa détresse :
Cordialement tends-lui la main.

Sois l’oiseau léger qui vole, vole,
L’oiseau matinal, couleur du jour,
Qui berce encor de vieux chants d’amour
Notre sombre terre, à moitié folle.

Sois le verger plein de boutons d’or,
La source limpide où l’on vient boire,
Le bois profond aux feuilles de moire
Où passe, à la brune, un chant de cor.

Sois l’étang limpide où se reflète
Un paysage infiniment clair.
Sois tout le bleu qui vague dans l’air.
Parmi les houx sois la violette.

Ah ! je sais bien : le soleil qui luit
A fait cligner plus d’une paupière ;
Il est, hélas ! plus d’un cœur de pierre ;
Il est encor des âmes de nuit.

Aveugles, sourds et fous que nous sommes !
Tous, au hasard, s’en vont trébuchant ;
L’un est stupide et l’autre méchant.
Eh bien ! que veux-tu ? ce sont des hommes.

Collection: 
1895

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