C’est généralement le soir
Qu’il opère, dans un coin sombre.
Rapport au sergot, ce rasoir,
Dont il redoute même l’ombre.
Lorsque vous passez près de lui,
Il prend un air de circonstance,
Pour vous raconter son ennui,
Et réclamer votre assistance.
Il se dit, tout en larmoyant,
Un pauvre ouvrier sans ouvrage.
Il n’a le moindre sou vaillant,
Mais trois… quatre enfants en bas âge,
C’est pour eux, qui meurent de faim,
Qu’il implore un léger service
De votre bon cœur. Puis, enfin…
Il vient de sortir de l’hospice.
Pour que vous ne vous y trompiez,
Il vous exhibe, probatoires,
On ne sait quels crasseux papiers,
Couverts d’illisibles grimoires.
Comme vous devez bien penser,
C’est de la pure faribole ;
Mais, pour vous en débarrasser,
Vous y allez de votre obole.
Et vous vous dites : « Après tout,
S’il a vraiment faim ? » C’est possible,
En tout cas, il a soif surtout :
Je le jurerais sur la Bible.
Dès qu’il a de vous obtenu
Quelques sous, à toute vitesse,
Chez le premier bistro venu,
Il court oublier sa détresse.
Pas plus tard que le lendemain,
Et toujours à la même place,
Il vous tend de nouveau la main,
Étant en la même disgrâce :
Comme la veille, c’est fatal,
Il vous tient le même langage :
Il sort toujours de l’hôpital,
Il est encore sans ouvrage.
La première fois qu’on le voit,
On lui donne, aussi la deuxième,
Mettons la troisième… Mais, quoi !
Tu lui dis, à la quatrième :
« — Non, mon vieux, pas de boniment
Ne me prends pas pour une poire.
Si tu veux des sous, franchement,
Dis-moi que c’est pour aller boire…
« Et tu les auras. Les voici.
Mais, vois comme il faut que je t’aime,
Car je suis bien capable aussi
De les aller boire moi-même. »