Bien que je vous admire fort,
Dites-moi, docteur Rutherford ;
Pour être Américaine,
Votre invention de ce jour,
N’est guère, à parler sans détour,
Qu’une vieille rengaine.
Déjà l’illustre Berthelot
Caressait ce projet falot,
Si j’ai bonne mémoire,
De nous doter chimiquement
D’un définitif aliment,
Complet et péremptoire.
Il s’agissait d’un comprimé
De je ne sais quoi, renfermé
Au cœur d’une pilule,
Non plus grosse qu’un grain de mil,
Remplaçant tout autre mets vil,
Absurde et ridicule.
C’était assez ingénieux,
Mais depuis on a trouvé mieux ;
Car, cet autre empirique
Prétend sur vous deux renchérir.
Il compte avant peu nous nourrir
De courants électriques !
Les restaurants, les cabarets
Du coup ne feraient plus leurs frais,
Avec ces rocamboles ;
— Il serait bon d’y réfléchir —
Alors qu’on verrait s’enrichir
Les seuls pharmacopoles.
Il est évident que ç’aurait
Un immédiat intérêt,
Pour l’être lamentable,
Assez abandonné des Dieux,
Pour se montrer incurieux
Des plaisirs de la table.
Mais pensez-vous qu’à tout jamais
C’en serait fini des gourmets ;
Quand ils admettraient même,
Pour bercer un instant leur faim,
En guise de viande et de pain,
Ces « courants » de carême ?
Qu’est-ce là pour leur estomac ?
De même que le cinéma,
Encore que folâtre,
N’est pas un aliment complet
Pour le cerveau de qui se plaît
Aux choses de théâtre ;
Tel mets ne devient éloquent,
Ne vous semble-t-il pas ? que quand
La faim est satisfaite.
« C’est alors, sans être assouvis,
Que les beaux mangeurs sont ravis,
Et commencent la fête.
Et donc, ces courants ne seront
Guère pour eux qu’un éperon
À manger comme à boire,
À faire un excellent repas.
Et voilà bien, n’en doutez pas,
Le fin mot de l’histoire.