Valentines et autres vers/Le Mendiant

 

L’être que j’adore en ce monde,
Eût-il les pieds noirs et des poux,
C’est le mendiant, il m’inonde
Le cœur d’une extase profonde ;
Je lui baiserais les genoux.

D’abord il convient de vous dire
Que si je ne l’adorais pas,
Ça ferait peut-être sourire ;
On penserait : Hé ! le bon sire !
Il a le « trac » pour ses ducats.

Il a peur de faire l’aumône,
Ou qu’on le vole, il a raison
Dans la vie, ah ! tout n’est pas jaune,
Et mon ami le plus béjaune
Ne viendrait pas à la maison.

Ou, s’il venait, il voudrait faire,
Tout comme moi, les mêmes frais,
Nous compterions, quelle misère !
Et s’il me cassait, quoi ? son verre ?
Ah ! la tête que je ferais !

Je parlerais de ma famille
Tant, que c’en serait Han-Mer-Dent :
« J’ai ma femme, mon fils, ma fille ;
Oui, la petite est très gentille,
Mais ça coûte ». « C’est évident ! »

Le mendiant, qu’est-ce qu’il coûte ?
Titus disait : un heureux jour.
Quand nous verrons plus d’une goutte,
Chacun trouvera sur sa route
Qu’avec cet homme, on fait l’amour.

Je l’aime, comme une parente,
Pauvre… mais ça… c’est un détail…,
D’une façon bien différente.
Si j’avais mille francs de rente,
Je lui donnerais… du travail.

Je lui dirais : tu vas me faire
Un bonhomme sur ce papier.
— « Monsieur, je ne dessine guère, »
Alors… de me foutre en colère,
Trouves-tu cela trop… pompier ?

Il dessinerait son bonhomme
Bien ou mal, naturellement.
Je dirais : combien ? — « Telle somme »
Et je paierais, c’est presque, en somme,
Ce que fait le Gouvernement.

Le mendiant, mais c’est mon frère !
Comment, mon frère ? Mais, c’est moi.
Je commence par me la faire,
La charité, la chose est claire.
Tu te la fais aussi, va, Toi.

Moi, souvent « je me le demande »
Et demande, quand ça me plaît.
Et bien ! pour ma langue gourmande,
Plus que la vôtre n’est normande,
Si saint Pierre ouvrait son volet,

Seulement pour une seconde :
Si je suis là, si je le vois,
Bien que je doute qu’il réponde,
Je lui demande la plus ronde
Des lunes qui rient dans les bois.

Et si, surprise ! et joie extrême !
J’entends : « tiens ! enfant, la voici ! »
Comme avec tes baisers que j’aime,
Je me barbouille tout de crème,
Sans seulement dire : merci.

Collection: 
1921

More from Poet

  • Ni tout noirs, ni tout verts, couleur
    D'espérances jamais en fleur,
    Les ifs balancent des colombes,
    Et cela réjouit les tombes.

    Elles éclatent, dans les ifs,
    Ainsi que des fruits excessifs,
    Effeuillant leurs plumes perdues
    Au vent des vieilles avenues...

  • C'est la triste feuille morte
    Que le vent d'octobre emporte,
    C'est la lune, au front du jour,
    Que nulle étoile n'escorte,
    Au soleil, c'est mon amour,
    L'enfant plus pâle que blanche :
    Beau fruit mourant sur la branche !

    Mais quand la nuit est levée...

  • Nous habiterons un discret boudoir,
    Toujours saturé d'une odeur divine,
    Ne laissant entrer, comme on le devine,
    Qu'un jour faible et doux ressemblant au soir.

    Une blonde frêle en mignon peignoir
    Tirera des sons d'une mandoline,
    Et les blancs rideaux tout en...

  • Elle veille en sa chaise étroite ;
    Quelque roi d'Egypte a sculpté
    Dans l'extase et la gravité
    Le corps droit et la tête droite.

    Moitié coiffe et moitié bandeau,
    Fond pur à des lignes vermeilles,
    Un pan tourne autour des oreilles,
    Sa robe est la prison...

  • Parmi les marbres qu'on renomme
    Sous le ciel d'Athène ou de Rome,
    Je prends le plus pur, le plus blanc,
    Je le taille et puis je l'étale
    Dans ta pose d'Horizontale
    Soulevée... un peu... sur le flanc...

    Voici la tête qui se dresse,
    Qu'une ample chevelure...