Latone

 
À Jules Janin.

Proscrite par la haine implacable d’Héré,
La fille de Cϟs fuyait. Les noirs rivages,
Où bouillonne l’épaisse écume aux bonds sauvages,
Refusaient leur sol dur à son pas abhorré.

Parfois, devant la gueule horrible des repaires,
Où les fauves grondants abritent leurs petits,
Levant, avec effort, ses bras appesantis,
Lasse, elle demandait un asile aux vipères.

Mais l’antre même, au front du rocher inhumain,
Était sourd ; et, pareille au sourcil qui se fronce
Sur un œil effrayant et difforme, la ronce
Croissait affreusement pour barrer le chemin.

De hideux tourbillons de vautours et d’orfraies
La menaçaient du haut des airs avec leurs cris,
Cependant que bavaient, sur ses beaux pieds meurtris,
Les crapauds vils, râlant parmi les oseraies.

Dans l’angoisse des nuits, lentes et sans rayons
D’étoiles, elle errait ; l’arbre au feuillage sombre
Se tordait, grandissait, et ressemblait dans l’ombre
Aux spectres par l’effort de ses contorsions.

La tempête sonore ébranlait sur leur base
Les montagnes, et les brisait avec fracas.
Pour reposer, le soir, ses membres délicats,
La proscrite couchait par terre, dans la vase !

Ses beaux enfants pleuraient. Apollon avait faim,
La petite Diane avait froid, et Latone,
Qu’ils contemplaient d’un œil ingénu qui s’étonne,
Demandait quand ses maux toucheraient à leur fin.

Alors, triste et navrée, elle disait : « Oh ! n’ai-je
» Pas lassé ton courroux, sœur et fille des Dieux !
» Quand donc luira le jour miséricordieux
» Où tu pardonneras, Junon aux bras de neige ?

» Oui, je t’ai grandement blessée en ton orgueil !
» Ta colère de reine et d’épouse outragée
» Eut raison, je le sais. Mais n’es-tu pas vengée
» Suffisamment par mon exil et mon long deuil ? »

La foudre répondait ; la forêt, que secoue
L’âpre bise, agitait ses arbres furieux,
Et les hommes, avec des mots injurieux,
Pour l’en marquer au front lui jetaient de la boue.

C’est ainsi que d’exil en exil, en tout lieu,
Pâture que les loups se disputaient, victime
Lamentable, elle errait pour expier le crime
D’avoir senti son cœur battre à l’appel d’un Dieu !

Collection: 
1859

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