Parfois, lorsque mon âme échappe aux soins jaloux,
Je revois dans un songe épouvantable et doux,
Plein d'ombre et de silence et d'épaisses ramées,
Les jardins où jadis passaient mes bien-aimées.
Mais voici qu'à présent les rosiers chevelus
Sont devenus broussaille et ne fleurissent plus ;
Le temps a fracassé le marbre blanc des urnes ;
Le rossignol a fui les chênes taciturnes ;
Les nymphes de Coustou, les Sylvains et les Pans
S'affaissent éperdus sous les lierres rampants ;
La flouve, le vulpin, les herbes désolées
Ont envahi partout le sable des allées ;
Les larges tapis d'herbe aux haleine de thym,
Où la lune éclairait les habits de satin
Et les pierres de flamme aux robes assorties,
Foisonnent maintenant de ronces et d'orties ;
Dans les bassins, les flots aux sourires blafards
Sont cachés par la mousse et par les nénufars ;
L'étang, où tout un monde effroyable pullule,
Ne voit plus sur ses joncs frémir de libellule ;
Le chaume est tout couvert d'iris ; les églantiers
Pendent, et de leurs bras couvrent des murs entiers ;
L'ombre triste, le houx luisant, les eaux dormantes
Ont pris les oasis où riaient mes amantes ;
La noire frondaison me dérobe les cieux
Qu'elles aimaient, et dans ces lieux délicieux,
Naguère tout remplis d'enchantements par elles,
Meurt le gémissement affreux des tourterelles.
Nice, mai 1860.