Il est doux de raser en gondole la vague
Des lagunes, le soir, au bord de l’horizon
Quand la lune élargit son disque pâle et vague,
Et que du marinier l’écho dit la chanson ;
II est doux d’observer l’étoile qui rayonne,
Paillette d’or cousue au dais du firmament,
L’étoile qu’une blanche auréole environne,
Et qui dans le ciel clair s’avance lentement ;
II est doux sur la brume un instant colorée
De voir, parmi la pluie, aux lueurs du soleil,
L’iris arrondissant son arche diaprée,
Présage heureux d’un jour plus pur et plus vermeil ;
II est doux, par les prés où l’abeille butine,
D’errer seul et pensif, et, sous les saules verts
Nonchalamment couché près d’une onde argentine,
De lire tour à tour des romans et des vers ;
II
est doux, quand on suit une route inégale
Dans l’été, vers midi, chargé d’un lourd fardeau,
Et qu’on entend chanter près de soi la cigale,
De trouver un peu d’ombre avec un filet d’eau ;
Il est doux, en hiver, lorsque la froide pluie
Bat la vitre, d’avoir, auprès d’un feu flambant,
Un immense fauteuil gothique, où l’on appuie
Sa tête paresseuse en arrière tombant ;
II est doux de revoir avec ses tours minées
Par le temps, ses clochers et ses blanches maisons,
Ses toits rouges et bleus, ses hautes cheminées,
La ville où l’on passa ses premières saisons ;
II est doux pour le cœur de l’exilé malade,
Par le regret cuisant et la douleur usé,
D’entendre le refrain de la vieille ballade
Dont sa mère au berceau l’a jadis amusé :
Mais il est bien plus doux, éperdu, plein d’ivresse,
Sous un berceau de fleurs, d’entourer de ses bras
Pour la première fois sa première maîtresse,
Jeune fille aux yeux bruns qui tremble et ne veut pas.