Les Fils des Anges

 
Un jour, les fils du Ciel, bravant la règle austère,
S'unirent clandestins aux filles de la Terre,
Pendant que celles-ci dormaient leur doux sommeil.

« Qui nous à mis, Seigneur, ces flammes de soleil
Et ces nimbes parmi nos longues chevelures ?
Quels étaient ces baisers chauds comme des brûlures
Que la nuit chaste a vus se poser sur nos fronts ?
C'est d'un mal inconnu, divin, que nous souffrons,
Et nous n'avons jamais été comme nous sommes. »
Ainsi dirent tout bas les épouses des hommes,
Le matin, en peignant leurs cheveux.

                                                       Et depuis,
On les voyait rester longtemps autour des puits,
Immobiles, avec la cruche de grès rose
A l'épaule, disant parfois : « C'est une chose
Grave ! » et se concertant jusqu'au soleil couché ;
Hélas ! pendant la nuit du mystique péché,
Elles avaient conçu sous le baiser des Anges !

« Holà ! femmes, voici des rejetons étranges,
Crièrent les époux quand les fils furent nés,
Et c'est mal à propos que vous nous les donnez.
Leur front a des lueurs d'étoile qui se lève ;
Leur œil jette l'éclair comme l'acier du glaive
Que les jeunes guerriers portent pour le combat ;
Une aile impatiente et grand ouverte bat
Leurs flancs, aile de cygne ou de colombe ou d'aigle !
Et quand leur chevelure ardente se dérègle,
C'est comme un bélier d'or secouant sa toison !
Voici le déshonneur entré dans la maison ;
Mais d'où qu'il soit venu, nous voulons qu'il en sorte.
Nous ne fîmes jamais enfants de cette sorte,
Les nôtres sont cagneux, bossus, ils ont le pied
De travers et les yeux sans flammes, comme il sied
Aux légitimes fils des honnêtes familles. »

Là-dessus les époux firent venir les filles
Que l'esclavage courbe aux travaux les plus vils,
« Vous allez emporter ces bâtards, dirent-ils.
Vous les exposerez loin de toute citerne,
Dans un bois que le cri des lionnes consterne,
Sans eau, sans fruits, sans pain, et si l'un d'eux survit,
Un seul ! vous périrez toutes. »

                                      *

                                                     Alors on vit
Les servantes verser des larmes sur les langes
En emportant les fils adorables des Anges !

Collection: 
1861

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