I
Le nez rouge, la face blême,
Sur un pupitre de glaçons,
L’Hiver exécute son thème
Dans le quatuor des saisons.
Il chante d’une voix peu sûre
Des airs vieillots et chevrotants ;
Son pied glacé bat la mesure
Et la semelle en même temps ;
Et comme Hændel, dont la perruque
Perdait sa farine en tremblant,
Il fait envoler de sa nuque
La neige qui la poudre à blanc.
II
Dans le bassin des Tuileries
Le cygne s’est pris en nageant,
Et les arbres, comme aux féeries,
Sont en filigrane d’argent ;
Les vases ont des fleurs de givre
Sous la charmille aux blancs réseaux,
Et sur la neige on voit se suivre
Les pas étoilés des oiseaux.
Au piédestal où, court-vêtue,
Vénus coudoyait Phocion,
L’Hiver a posé pour statue
La Frileuse de Clodion.
III
Les femmes passent sous les arbres
En martre, hermine et menu-vair ;
Et les déesses, frileux marbres,
Ont pris aussi l’habit d’hiver :
La Vénus Anadyomène
Est en pelisse à capuchon ;
Flore, que la brise malmène,
Plonge ses mains dans son manchon ;
Et pour la saison, les bergères
De Coysevox et de Coustou,
Trouvant leurs écharpes légères,
Ont des boas autour du cou.
IV
Sur la mode parisienne
Le Nord pose ses manteaux lourds,
Comme sur une Athénienne
Un Scythe étendrait sa peau d’ours.
Partout se mélange aux parures
Dont Palmyre habille l’Hiver,
Le faste russe des fourrures
Que parfume le vétiver.
Et le Plaisir rit dans l’alcôve
Quand, au milieu des Amours nus,
Des poils roux d’une bête fauve
Sort le torse blanc de Vénus.
V
Sous le voile qui vous protège,
Défiant les regards jaloux,
Si vous sortez par cette neige,
Redoutez vos pieds andalous :
La neige saisit comme un moule
L’empreinte de ce pied mignon
Qui, sur le tapis blanc qu’il foule,
Signe, à chaque pas, votre nom ;
Ainsi guidé, l’époux morose
Peut parvenir au nid caché
Où, de froid la joue encor rose,
À l’Amour s’enlace Psyché.