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- À mon jeune ami Paul B***
- À mon jeune ami Paul B***
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Autrefois dans Bagdad, la ville des merveilles,
Grandissait Abdallah, fils du cheik El-Modi,
Que les derviches et les vieilles,
Dont ses propos moqueurs échauffaient les oreilles,
Nommaient dans leur colère Abdallah le Maudit.
Il n’avait, orphelin, ni mère ni sœur tendre,
Hélas ! pour l’enchaîner doucement au devoir,
Pour payer son travail par les baisers du soir,
Ou punir sa paresse en les faisant attendre.
Une mère, une sœur, c’est le premier des biens :
Vous le savez, enfants… et moi, je m’en souviens !
Passe encor s’il n’eût fait qu’agacer par derrière
Le derviche immobile en son culte fervent
Et lui tirer la barbe, ou bourrer de poussière
La pipe du soldat qui dormait en plein vent ;
Mais gourmand et voleur !… oui, j’ai lu dans l’histoire
Qu’il aimait un peu trop la figue et le raisin
Du voisin ;
Fécond en malins tours, il y mettait sa gloire,
Et cadis, marchands, bateleurs,
Dit-on, se méfiaient de lui les jours de foire
Plus que des Quarante voleurs !
Las enfin d’en gémir, à sa folle conduite
Un vieil oncle l’abandonna ;
D’Abdallah le Maudit chacun se détourna ;
Le bruit seul de ses pas mettait les jeux en fuite.
Il réfléchit alors : la voix qu’il étouffait,
Cette compagne intérieure
Qui chante de joie ou qui pleure,
Suivant qu’on a bien ou mal fait,
La Conscience en lui gronda, juge implacable.
Alors dans le désert un saint homme vivait
D’aumône et d’au, n’ayant que le roc pour chevet,
Et, pleine de pardons, quand sa main vénérable
Les répandait sur un coupable,
À l’arrêt inspiré toujours Dieu souscrivait :
« Il me pardonnera sans doute,
S’il pardonne au remords, » dit l’enfant, et voilà
Au milieu du désert ses petits pieds en route : —
Le désert est bien grand ! Dieu conduise Abdallah !
Le désert est bien grand, et presque infranchissable :
C’est un champ de poussière et de feu ; rien n’y croît,
Ni mûres ni bleuet, enfants, et l’on n’y voit
Que du soleil et du sable.
Tantôt d’un rocher caverneux,
Au pieds du voyageur égaré dans l’espace,
Un boa sort, fouettant la terre de ses nœuds ;
Tantôt c’est un lion qui passe,
Calme et superbe, avec de la chair vive au dents,
Et de gros yeux pareils à des charbons ardents.
À travers le soleil et les vents et l’orage,
Notre pénitent va, n’ayant pour tout fardeau
Qu’un gâteau de maïs, un bâton de voyage,
Et, pendante au côté, sa gourde pleine d’eau.
Mais voilà qu’au désert un cri mourant l’implore :
C’était un pauvre chien qui, sur le sable ardent,
Dévoré par la soif, hurlait en le mordant.
La route à parcourir était bien longue encore ;
Sa gourde résonnait à moitié vide : eh bien !
Il en épuisa l’eau dans la gueule du chien ;
Et le chien bondissant, tout joyeux de renaître,
Dit par une caresse : « Abdallah, sois mon maître. »
Il marche, il marche encor, puis s’arrête, voyant
Son nouveau compagnon trembler en aboyant :
Un serpent au soleil se dressait sur sa queue ;
Le serpent-roi, celui qu’on appelle Devin ;
Et, sous les mille éclairs de son écaille bleue,
Un oiseau fasciné se débattait en vain.
Notre héros s’élance, invoque le Prophète,
Et, fort de sa pitié, fort du secours divin,
Frappe à coups redoublés le monstre sur la tête.
Le Devin se tordit sur le sable et siffla,
Puis mourut aux pieds d’Abdallah.
Le vainqueur dans son sein mit l’oiseau, sa conquête,
Et le baise, endormi sur son mol oreiller,
Doucement, doucement, de peur de l’éveiller.
Le voilà parvenu devant la grotte sainte,
Enfin !… et sur le seuil il hésite, n’osant,
Lui coupable et poudreux, profaner cette enceinte ;
Mais, ô surprise ! aux pieds du vieillard imposant,
Quand le Maudit courbait la tête,
Le chien qui le suivait à la porte gratta,
L’oiseau battit de l’aile au réveil et chanta ;
Et le saint comprit tout, car il était prophète ;
Sur le front du pécheur alors il étendit
Ses deux mains tremblantes, et dit :
« Levez-vous, Abdallah : Dieu pardonne et vous aime
En paix avec le ciel, en paix avec vous-même,
Allez : vous n’êtes plus Abdallah le Maudit.
Pour que Dieu le bénisse, un enfant doit soumettre
Ses caprices mutins aux volontés d’un maître ;
Il doit n’être gourmand, espiègle ni moqueur ;
Mais sur les vertus les plus hautes
Ce qui l’emporte, et peut racheter bien des fautes,
Ne l’oubliez jamais, enfant : c’est un bon cœur ! »