Rayons perdus (1869)/Berceuse

C’est le matin, l’enfant, la paupière mi-close,
Sur le sein maternel paisiblement repose.
« — Chut ! » disait-elle avec un doux air inquiet,
« Tout à l’heure il rêvait sans doute, il souriait
« Même en dormant, & moi, quoique ce soit étrange
« Et bien fou, n’est-ce pas ? j’imagine qu’un ange
« À notre chérubin vient encore parler
« Lorsque nous le voyons rire ou se désoler,
« Sans que nous comprenions ses larmes ou sa joie.
« L’ange, ce grand mystère où la raison se noie,

« Cette voix qui nous parle au nom du Seigneur Dieu,
« La conscience enfin ! lui conte peu à peu
« Tout ce qu’il faut, hélas ! qu’il sache ou qu’il devine
« Pour vivre. La jeune âme innocente & divine
« Au mal se plaint & crie, au bien s’épanouit.
« Quand nous intervenons l’ange s’évanouit,
« L’enfant pleure… Oh ! je vois à ton méchant sourire
« Que tu doutes ; eh bien, les sages ont beau dire
« Aux mère qu’un enfant n’est qu’un homme comme eux,
« Nous autres qui plongeons dans l’avenir brumeux
« Un regard plein d’effroi, d’espérance, de rêve,
« Nous, qui tremblons toujours que tout nous les enlève,
« Nous, vois-tu, nous sentons l’invisible réseau,
« Le lien idéal qui rattache un berceau
« Au paradis. » Le père, à toutes ces chimères,
Répondait seulement : « — Ô les mères ! les mères ! »
Et, se penchant vers elle, ajoutait : « — Bah ! dis-moi
« Tout ce que tu voudras ; mais l’ange ici, c’est toi ! »

Collection: 
1869

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