Ballade de la petite rose et du petit bluet

 
Nomade confident des herbes et des plantes,
Impalpable éventail du sol âpre et roussi,
Caresse des lacs morts et des rivières lentes,
Colporteur de l’arôme et du murmure aussi,
Le zéphyr m’a conté l’histoire que voici :
« Dans un mélancolique et langoureux voyage
« Que je fis tout au fond d’un jardin sans grillage
« Où des quatre horizons le mystère affluait,
« J’entendis tout à coup le charmant babillage
« De la petite rose et du petit bluet.

« Sans doute quelque fée aux mains ensorcelantes
« Leur donnait le pouvoir de cheminer ainsi,
« Car elles s’en allaient, ces fleurettes parlantes,
« Du matin jusqu’au soir, vagabondant par-ci,
« Par-là, causant d’amour et n’ayant nul souci.
« Leur tendresse n’était que de l’enfantillage ;
« Mais pourtant dans les coins ombrés par le feuillage
« Le couple si folâtre était parfois muet,
« Et je n’entendais plus le joli verbiage
« De la petite rose et du petit bluet.

« Un matin, au parfum des corolles tremblantes,
« Tout le jardin chanta sous le ciel éclairci ;
« Le bassin réveilla ses rides somnolentes,
« Le sapin fut moins triste et le serpent transi
« Parut se délecter sur le roc adouci ;
« Le papillon, l’oiseau qui vit de grappillage
« Et l’abeille qui met tant de fleurs au pillage,
« Dans un brin de soleil dansaient un menuet :
« Et j’appris que c’était le jour du mariage
« De la petite rose et du petit bluet. »

ENVOI.

Toi qui fais sur ma bouche un si doux gaspillage
De baisers qui sont frais comme le coquillage,
Princesse maladive au corps souple et fluet,
Daigne te souvenir jusque dans le vieil âge
De la petite rose et du petit bluet.

Collection: 
1866

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