Aux mânes de l’Empereur

 
Quand sous l’arc triomphal où s’inscrivent nos gloires
Passait le sombre char couronné de victoires
             Aux longues ailes d’or,
Et qu’enfin Sainte-Hélène, après tant de souffrance,
Délivrait la grande ombre et rendait à la France
             Son funèbre trésor,

Un rêveur, un captif, derrière ses murailles,
Triste de ne pouvoir, aux saintes funérailles,
             Assister, l’œil en pleurs,
Dans l’étroite prison, sans échos et muette,
Mêlant sa note émue à l’ode du poète,
             Epanchait ses douleurs :

« Sire, vous revenez dans votre capitale,
Et moi, qu’en un cachot tient une loi fatale,
             Exilé de Paris,
J’apercevrai de loin, comme sur une cime,
Le soleil descendant sur le cercueil sublime
             Dans la foule aux longs cris.
 
Oh ! non! n’en veuillez pas, sire, à votre famille
De n’avoir pas formé, sous le rayon qui brille,
             Un groupe filial,
Pour recevoir, au seuil de son apothéose,
Comme Hercule ayant fait sa tâche grandiose,
             L’ancêtre impérial !

Vos malheurs sont finis ; toujours durent les nôtres.
Vous êtes mort là-bas, enchaîné, loin des vôtres,
             Titan sur un écueil ;
Pas de fils pour fermer vos yeux que l’ombre inonde;
Même ici, nul parent, — oh ! misère profonde ! —
             Conduisant votre deuil !

Montholon, le plus cher comme le plus fidèle,
Jusqu’au bout, du vautour affrontant les coups d’aile,
             Vous a gardé sa foi ;
Près du dieu foudroyé, qu’un vaste ennui dévore,
Il se tenait debout, et même il est encore
             En prison avec moi.

Un navire, conduit par un noble jeune homme,
Sous l’arbre où vous dormiez, Sire, votre long somme,
             Captif dans le trépas,
Est allé vous chercher avec une escadrille ;
Mais votre œil sur le pont cherchait votre famille
             Qui ne s’y trouvait pas.

Quand la nef aborda, France, ton sol antique,
Votre âme réveillée à ce choc électrique,
             Au bruit des voix, des pas,
De sa prunelle d’ombre entrevit dans l’aurore,
Palpiter vaguement un drapeau tricolore
             Où l’aigle n’était pas.

Comme autrefois le peuple autour de vous s’empresse;
Cris d’amour furieux, délirante tendresse,
             A genoux, chapeau bas !
Dans l’acclamation, les prudents et les sages
Murmurent, au César faisant sa part d’hommages :
             « Dieu! ne l’éveillez pas ! »

Vous les avez revus — peuple élu de votre âme-—
Ces Français tant aimés que votre nom enflamme,
             Héros des grands combats ;
Mais sur ton sol sacré, patrie autrefois crainte,
Du pas de l’étranger on distingue une empreinte
             Qui ne s’efface pas.

Voyez la jeune armée, où les fils de nos braves,
Avides d’action, impatients d’entraves,
             Voudraient presser le pas ;
Votre nom les émeut, car vous êtes la gloire ;
Mais on leur dit : « Laissez reposer la Victoire ;
             Assez. Croisez les bras. »

Sur le pays, le peuple, étoffe rude et forte,
S’étend comme un manteau qui vaillamment supporte
             L’orage et les frimas;
Mais ces grands si petits, chamarrés de dorures,
Qui cachent leur néant sous de riches parures,
             Ne les regrettez pas.

Comme ils ont renié, troupe au parjure agile,
Votre nom, votre sang, vos lois, votre évangile,
             Pour vous suivre trop las !
Et quand j’ai devant eux parlé de votre cause,
Comme ils ont dit, tournés déjà vers autre chose :
             « Nous ne comprenons pas. »
 
Laissez-les dire et faire, et sur eux soit la honte!
Qu’importe pierre ou sable au char qui toujours monte
             Et les broie en éclats ?
En vain vous nomment-ils « fugitif météore, »
Votre gloire est à nous, elle rayonne encore ;
             Ils ne la prendront pas.

Sire, c’est un grand jour que le quinze décembre !
Votre voix, est-ce un rêve? a parlé dans ma chambre:
             « Toi qui souffres pour moi,
Ami, de la prison le lent et dur martyre,
Je quitte mon triomphe et je viens pour te dire :
             Je suis content de toi ! »

29 avril 1869

Collection: 
1831

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