Anciennetés/Lazare

Au verbe de Jésus, le cadavre vagit.
Le sépulcre accouchait d’une forme olivâtre
Dont les cils dégrafés versaient des regards d’âtre.
Et la foule, béante, ainsi qu’un bœuf mugit.

— L’aurore courtisait les lys de Béthanie. —
Les bras de l’affranchi du manoir sans vantail
Se prirent à tiquer en bras d’épouvantail,
Lin grillon fol hantait la mâchoire jaunie.

Lazare s’avança, d’une roideur de fer,
Entre son front hideux fanant les jeunes filles
Et le lent bégaiement des pas à ses chevilles.
Tombé du ciel, on l’eût dit monté de l’enfer.

Les aromes, qu’avec leurs larmes solennelles
Sur sa peau ses deux sœurs avaient voulu verser,
Envahissant son odorat, fesaient danser
Des rides sur sa face et gicler ses prunelles.

L’aquilon répandu des cèdres de l’Hébal
Sifflait dans ses cheveux droits ainsi que des chaumes
Et décrochait les vers dont les têtus monômes
Serpentaient dans les plis poudreux du lin tombal.

Une onde qui passait lui jeta la copie
Du corps qui l’habillait sur la terre autrefois.
Il faillit crouler quand, se trouvant sous ses doigts,
Il eut soudain l’éclair d’une Extase tarie.

Puis il sembla traquer un gibier qui jadis
Devait être sa joie. Il têta sa mémoire,
Mais aucun lait ne vint de la mamelle noire.
Dans ses sables humains sombraient les oasis.

Du clocher de son crâne il supplia les cloches,
Mais vain fut son souhait d’une obole d’airain.
De sa nuque à ses yeux, comme sur un terrain,
Ses longs doigts sarmenteux cognaient tels que des pioches.

La splendeur secouée aux branches du savoir,
Son air d’apothéose et ses tapis d’étoiles,
Les arcanes d’en haut sucés jusques aux moelles,
Qui donc put annuler cela d’un éteignoir ?

Trahissant la promesse du jeune évangile
Quel triangle lugubre a sur un tronc maudit
Décollé ton génie, ô Lazare interdit
Sous le réveil mystérieux de ton argile ?

Enfin qui t’a précipité du bonheur bleu,
L’esprit encore empli de suprêmes délires,
Loin des anges cueillant les diamants des lyres
Alentour de la barbe admirable de Dieu ?

Un coq scanda son rhume au sortir d’une étable.
Cette flèche de chant creva le songe épais
Du revenant, sinistre en son drap de décès,
Qui sur le bourg fit choir un œil épouvantable.

Adossé contre un mur qui buvait des lézards,
Il vit au loin grouiller les sordides spectacles
Des vices, commensaux des humains habitacles,
Cauchemars provoquants sous l’astre de leurs fards.

Il vit les dents du faix dans le fruit des épaules,
Les lanières zébrant les torses plébéiens,
Le noir cafard sur les socles pharisiens,
D’écarlates gibets empanachant les geôles.

Il vit des cœurs vidés par les pieuvres du dol,
L’aloès violant la brebis au passage,
L’oiseau de liberté plumé dans une cage,
Le devoir aux égouts traîné par le licol.

Il vit se balancer des moissons de ciguës,
Une ruche géante où s’étageait du fiel,
Des crachats ripostés aux dictâmes du ciel,
Et sur l’espoir fait nain s’affoler des massues.

Son regard, terrassé par les rais du soleil,
S’agriffa sur son être et s’embruma de larmes.
Ses veines, gargouillant, l’inondaient de vacarmes.
Une bague de vers l’enserrait à l’orteil.

Soudain il eut le cri du rêveur qui se pique
A la réalité, farouche il s’ébranla,
Le suaire gonflé dans l’espace hurla,
De la bave frangea sa bouche épileptique.

Ramassant des cailloux d’un geste de larron :
« Qui donc m’a réveillé ? » rugit-il à la foule.
« C’est ce jeune homme, dont la chevelure coule
En flots nazaréens, qui va vers le Cédron, »

Dit un pâtre. A ces mots, Lazare à l’âme douce
Que Marthe et que Marie avaient d’adieux lavé
Fonça, lourd des vengeurs dont il s’était pavé,
Dans la sente où coulait la chevelure rousse,

Fit des pas de velours à l’instar des intrus,
A son bras insuffla la rage qui lapide,
Ainsi qu’un chat s’arqua d’une courbe rapide,
Brandilla les cailloux et..... reconnut Jésus.

— Le désert s’oubliait dans l’urne des margelles,
La palombe ramait par les ors du matin,
Les coteaux d’Éphraïm bêlaient dans le lointain,
Un paradis montait des fientes de gazelles. —

Alors, incendié de son rôle, couvert
Des yeux du divin Maître, à travers mille lèvres
Chantant gloire, Lazare alla, noble et sans fièvres,
Vers ses sœurs qui riaient près du sépulcre ouvert.

Collection: 
1903

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