Amédine Luther

Adieu, bras de neige, adieu, front de rose !
Adieu, lèvre hier déclose !

Amédine, hélas ! notre cher trésor !
Blanche, douce, enfant encor !

Elle était rieuse, elle était vermeille,
Plus légère que l'abeille !

Ses cheveux tombaient en flots triomphants,
Blonds comme ceux des enfants,

Et resplendissaient, fiers de leur finesse,
Sur ce front pur de Déesse.

Ils prenaient dans l'ombre, et comme par jeu,
Des ruissellements de feu,

Et l'air se jouait parmi la dorure
De cette noble parure.

Ô pâle ornement d'un front sidéral,
Vapeur d'un or idéal !

Nulle n'aura plus, nulle enfant au monde,
L'or sacré, la toison blonde

Qu'on voyait frémir autour de ton front !
Jamais ils ne renaîtront

Ces rayons riants qui dans les ravines
Jetaient des lueurs divines,

Lorsque tu courais, avec tes seize ans !
Ô mort farouche ! Ô présents

Qu'ici-bas l'exil ne garde qu'une heure !
Muse, gémis ! lyre, pleure !

N'est-ce pas hier qu'en sa voix passait
La tendresse de Musset,

Et qu'elle parut, foulant le théâtre
De son petit pied folâtre,

Si jeune, oh ! si jeune, espoirs adorés !
Avec ses cheveux dorés

Et sa voix naïve, et son front qui penche !
Sa petite robe blanche,

Hélas ! je la vois encor. Nous disions :
L'ange des illusions,

C'est elle ! Jamais lèvre plus choisie
Ne versa la poésie.

Celle-ci n'est pas jeune pour un jour !
Mais éclatante d'amour,

Pour jamais la grâce en fleur la décore
Comme le lys et l'aurore !

Et déjà, déjà, pauvre ange mortel,
Tu fuis dans l'horreur du ciel,

Dans l'immensité bleue aux sombres voiles
Où frissonnent les étoiles !

Le lys est brisé. C'est fini. Plus rien
Qu'un fantôme aérien

Dont les cheveux blonds aux mourantes flammes
Caressent encor nos âmes.

Mais, va, jeune Grâce aux yeux si touchants !
Tu renaîtras dans les chants

Des rimeurs plaintifs qui savent encore
Éveiller le luth sonore.

Ils diront comment tu fus notre sœur
Par l'enfantine douceur,

Et comment ta voix eut l'attrait magique
D'une suave musique.

Amédine ! Aux champs tout la saluait,
L'églantine et le bleuet !

Oh ! rien qu'en disant ce nom d'Amédine,
Je la revois enfantine

Et riante ; l'air baisait son bras nu ;
Son petit cœur ingénu

Dans la forêt verte, où rit la pervenche,
Soulevait sa robe blanche.

Elle était la joie, elle était l'orgueil
De sa mère, que le deuil

Entoure à présent de crêpes funèbres !
Ah ! coulez dans les ténèbres,

Pleurs désespérés, pleurs silencieux !
Quand les étoiles aux cieux

Scintilleront, moi j'évoquerai celle
Dont le front pâle étincelle.

Elle reviendra, mais, comme jadis,
Jeune enfant pareille au lys,

Libre en sa Bretagne, errante et sans chaînes,
Attentive aux bruits des chênes ;

Ou comédienne aux riches habits,
Sous les éclairs des rubis

Et des robes d'or, semant sa parole
Pensive, ingénue et folle,

Et d'un pas léger grimpant le coteau
Du vieux parc cher à Wateau !

Et plus tard, tous ceux dont la Muse est reine,
À l'heure où la nuit sereine

Sur le front des fleurs met ses diamants,
Les rêveurs et les amants,

Écoutant avec le souffle des brises
Pleurer mes strophes éprises,

Reverront son pur visage, arrosé,
Neige en fleur, d'un feu rosé.

Et toi, lueur vive, aux reflets d'opale,
Ô toison, flamme idéale

Qui baignais de feu son col et ses bras,
À jamais tu brilleras,

Clair rayonnement, chevelure d'Ève,
Par mes vers ; car en mon rêve

Amédine vit, ange au front doré !
Oh ! que de fois je croirai,

Cherchant ses regards qui versaient les charmes,
Les voir à travers mes larmes !

Bordeaux, 15 août 1861.

Collection: 
1843

More from Poet

  • Par le chemin des vers luisants,
    De gais amis à l'âme fière
    Passent aux bords de la rivière
    Avec des filles de seize ans.
    Beaux de tournure et de visage,
    Ils ravissent le paysage
    De leurs vêtements irisés
    Comme de vertes demoiselles,
    Et ce refrain...

  • Italie, Italie, ô terre où toutes choses
    Frissonnent de soleil, hormis tes méchants vins !
    Paradis où l'on trouve avec des lauriers-roses
    Des sorbets à la neige et des ballets divins !

    Terre où le doux langage est rempli de diphthongues !
    Voici qu'on pense à toi,...

  • A travers le bois fauve et radieux,
    Récitant des vers sans qu'on les en prie,
    Vont, couverts de pourpre et d'orfèvrerie,
    Les Comédiens, rois et demi-dieux.

    Hérode brandit son glaive odieux ;
    Dans les oripeaux de la broderie,
    Cléopâtre brille en jupe fleurie...

  • Grâces, ô vous que suit des yeux dans la nuit brune
    Le pâtre qui vous voit, par les rayons de lune,
    Bondir sur le tapis folâtre des gazons,
    Dans votre vêtement de toutes les saisons !
    Et toi qui fais pâmer les fleurs quand tu respires,
    Fleur de neige, ô Cypris ! toi...

  • Eh bien ! mêle ta vie à la verte forêt !
    Escalade la roche aux nobles altitudes.
    Respire, et libre enfin des vieilles servitudes,
    Fuis les regrets amers que ton coeur savourait.

    Dès l'heure éblouissante où le matin paraît,
    Marche au hasard ; gravis les sentiers les...