Bientôt viendra le doux printemps
Chasser la neige, les autans,
Les jours moroses ;
Bientôt les feuilles renaîtront,
Et les oiseaux nous reviendront
Avec les roses.
Bientôt, de nos rudes climats,
Disparaîtront les blancs frimas,
Les froids sévères ;
Et nous pourrons, d’un œil charmé
Voir éclore aux rayons de mai
Les primevères.
Sur la route, chaque bosquet,
Dans l’arceau pimpant et coquet
De ses ramures,
Le soir comme au soleil levant,
Rendra sous les baisers du vent
Mille murmures.
Les ruisseaux transparents et frais
Mêleront an bruit des forêts
Leur voix si douce ;
Et sous les branches qui plieront,
Des chants joyeux s’envoleront
Des nids de mousse.
Dans les guérets et sur les eaux,
Sous les sapins, dans les roseaux
Qu’un souffle ploie,
Sur les rochers, dans les buissons,
Tout sera parfums et chansons,
Lumière et joie.
Partout mille édens gracieux
Feront remonter vers les cieux
L’âme bercée ;
Et, sous l’empire d’Ariel,
La terre semblera du ciel
La fiancée.
Alors on te verra souvent
Au balcon te pencher rêvant
Tout éveillée,
Pour écouter le bruit de l’eau
Fredonnant son gai trémolo
Sous la feuillée.
L’on te verra plus d’une fois
Devenir pensive à la voix
Eolienne
Des petits maëtros ailés,
Chantant leurs refrains modulés
En tyrolienne.
Sous les peupliers, vers le soir,
Tu t’en iras souvent t’asseoir,
Rêveuse et lasse,
Humant la brise et ses parfums,
Et dénouant tes cheveux bruns,
Au vent qui passe.
Et, lorsque tout te sourira,
Que l’enivrement te fera
Oublier l’heure,
Alors, l’œil à demi voilé,
Tu songeras à l’exilé
Qui souffre et pleure.
Hélas ! le beau printemps doré
N’est plus pour le cœur ulcéré
Qu’un vain fantôme.
Quand l’âme a des chagrins navrants,
Les souffles les plus enivrants
N’ont plus d’arôme.
De tout son œil est attristé :
Pour lui la rose est sans beauté,
Et l’aubépine
Lui parle encor de sa douleur,
Car il sait que la blanche fleur
A son épine.
Il sait que l’automne viendra,
Que la terre se jonchera
De feuilles d’arbre ;
Et la brise au vol caressant
Sur sou front ne laisse en passant
Qu’un froid de marbre.
Ni le gazouillement des eaux,
Ni le ramage des oiseaux,
Troupes aimées,
Ni les frais ombrages mouvants,
Ni la douce chanson des vents
Dans les ramées,
Ni ces mille aspects enchantés
Qu’on découvre de tous côtés,
Quand la nature,
Pour célébrer les jours nouveaux,
Fait briller les plus beaux joyaux
De sa parure ;
Bien pour lui n’a d’émotions ;
Son cœur pour les illusions
N’a plus de place ;
Et son pas foule, indifférent,
Fleur nouvelle ou gazon mourant,
Pelouse ou glace.
Pour lui les beaux jours de printemps
N’ont pins ni reflets éclatants
Ni folle ivresse ;
L’homme que la vie a froissé
N’a qu’un printemps, c’est son passé,
C’est sa jeunesse !
Mais il est un baume odorant
Donné parfois au cœur souffrant
Par Dieu lui-même :
Ce doux baume, trop rare, hélas !
C’est l’assurance que là-bas
Quelqu’un nous aime !
Chicago, mars 1868.