À M. Amédée D***

 
Oublions ! oublions ! quand la jeunesse est morte,
Laissons-nous emporter par le vent qui l’emporte.
(V. HUGO.)

Sur la vieille cité quand un lourd brouillard pèse,
Oh ! que de fois, ami,
L’imagination, sous le tiède mélèze,
Me ramène endormi !

Quand pourrai-je, avec toi, fumant le trabucco .
Du rhythme alexandrin faire vibrer l’écho,
Ayant en main un livre où notre âme s’abreuve,
D’Hugo, de Lamartine ou bien de Sainte-Beuve ?
Voyageur fatigué, quand pourrai-je ?…Mais non !
Je ne dois plus revoir nos savanes sans nom.
Dans la plaine de Paul je ne dois plus descendre.
Loin du lac Pontchartrain reposera ma cendre.
Au sol de l’étranger, sous quelque tertre nu,
Le créole exilé va dormir inconnu :
Nul ne viendra pleurer à genoux sur sa tombe…
O pins de Bonfouca, vieux cèdres du Lacombe,
Silencieux déserts où l’âme écoute Dieu,
Cyprès, ravins, bois-forts, nature sainte, adieu !
Adieu, frères jumeaux Adrien, Anatole !
Votre doux souvenir, en mourant, me console.
Oh ! tous les deux, assis sous les copalmes verts,
Répétez, en pleurant, quelques uns de mes vers !
Tous les deux abrités à l’ombre du mélèze,
Oh ! pensez quelquefois au vieux Père-Lachaise,
A cet asile saint, où dorment enfermés
Les restes d’un ami qui vous a tant aimés !
Mais non !…En vous j’ai foi, religieux créoles :
Vous avez recueilli mes dernières paroles.
Tous, vous m’avez promis qu’un rapide trois-mâts
M’emporterait encor vers nos tièdes climats,
Tous, mourant, vous avez consolé le poëte,
En lui jurant qu’un jour sa poussière muette,
Sous le vert parasol du sablonneux tiac ,
Sommeillerait tranquille, à l’autre bord du lac !

A vous, poëtes, donc, Adrien, Anatole,
Le soin de me choisir, dans la forêt créole,
Sous les chênes connus de Paul ou de Loubri,
Le tertre du repos, le tumulaire abri !

Oh ! vienne, au point du jour, sur ma tombe arrosée
Des nocturnes torrens de la blanche rosée,
L’harmonieux moqueur, le rouge cardinal
Faire vibrer l’écho de leur chant matinal !
Oh ! que surtout, le soir, le will-poor-will que j’aime
Y soupire ce chant triste, toujours le même
Qui s’élève plaintif, dans le calme des nuits,
Et le l’âme souffrante apaise les ennuis !

Paris, juillet 1838.

Collection: 
1830

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