Is there a man of soul so dead,
Who never to himself hath said :
This is my own, my native land !
(W. SCOTT)
Adieu, frère créole, ami d’enfance, adieu !...
Vogue sur l’Océan, à la merci de Dieu !
Comme un coursier sans frein qui jette un cri sauvage,
Le Rubicon bondit, cingle loin du rivage.
Adieu, frère créole, une dernière fois !...
Mais la brise grondante éteint, couvre ma voix.
De mille émotions l’âme tout agitée,
Je te suis du regard, debout sur la jetée,
Je te salue encor d’une tremblante main…
Mais le navire est sourd et poursuit son chemin.
Comme un oiseau des mers qui tend son aile blanche
Il vole, il fuit, d’un bond il a franchi la Manche…
Oh ! que ne puis-je aussi, sur l’agile trois-mâts,
Comme toi, m’élancer vers nos tièdes climats,
Et, comme toi, le cœur débordant d’espérance
Et de vie, et d’amour, abandonner la France,
Et saluer encor le grand Meschacébé,
Ce Gange des déserts qu’invoquait Mastabé…
Oh ! quand du fleuve saint enfin on se rapproche,
Entre le cap Antoine et le cap de Catoche,
Quand le vaisseau grondant, fugitif Alcyon,
Sur le golfe houleux projette un blanc sillon,
Lorsque, voile tendue, incliné sous la brise,
Le navire franchit les bancs de la Balise,
Et qu’on voit, à travers le brouillard pluvieux,
Apparaître les joncs mouvans du fleuve vieux,
Sur ces flots où voguaient d’indiennes nacelles,
Quand le steam-boat vomit ses rouges étincelles…
Comme d’émotion, de bonheur étouffant,
Dans un passé lointain on se revoit enfant !
Oh ! comme alors le coeur s’inonde de tristesse !...
Heureux alors, heureux l’exilé de Lutèce.
Qui, l’âme émue, attend, au sol de son berceau,
Les baisers d’une mère, au sortir du vaisseau !