À Henry Murger

 
      Comme l’autre Ophélie,
      Dont la douce folie
      S’endort en murmurant
           Dans le torrent,

      Pâle, déchevelée
      Et dans l’onde étoilée
      Éparpillant encor
           Ses tresses d’or,

      Et comme Juliette,
      Qui craignait l’alouette
      Éveillée au matin
           Parmi le thym,

      Elle est morte aussi jeune
      Au bel âge où l’on jeûne,
      Ta pensive Mimi
           Au front blêmi,

      Et, dans la matinée
      De la vingtième année,
      Elle a fermé ses yeux
           Insoucieux.

      Parmi les pâles ombres
      Qui, joyeuses ou sombres,
      A l’entour de ton front
           Voltigeront,

      Dis, il en est plus d’une
      Dont la tendre infortune
      Souvent nous consola :
           Mais celle-là,

      C’est notre bien-aimée !
      Sa trace parfumée
      Reste encor dans les champs
           Avec nos chants !

      Lorsque, dans la nuit brune,
      Un frais rayon de lune
      Argente les berceaux
           Et les ruisseaux,

      Ta naïve Giselle
      Effleure de son aile
      Des lys et des rosiers
           Extasiés,

      Et, diaphane et blanche,
      Le soir vers nous se penche,
      En posant ses deux mains
           Sur les jasmins.

      Sa plainte triste et pure
      Dans le ruisseau murmure,
      Et s’envole en rêvant
           Avec le vent.

      Que le printemps renaisse,
      Ame de ta jeunesse,
      Elle tressaille aux sons
           De tes chansons,

      Et parfois se soulève,
      Pour les entendre en rêve
      Dans la brise passer
           Et s’effacer.

      Rendors-toi, dors heureuse,
      Pauvre fille amoureuse :
      Notre amour te défend
           Comme un enfant !

      Croise tes mains d’ivoire :
      Car, du moins, ta mémoire
      Qui sait nous attendrir,
           Ne peut mourir !

      Que

 le zéphyr en fête
      Te berce ! le poëte,
      Qui jadis te pleura,
           Se souviendra !

      Dans l’herbe toujours verte
      Où, de roses couverte,
      Penche sous le tombeau
           Ton front si beau,

      La fleur de la prairie
      Brille, toujours fleurie,
      Et peut se marier
           A son laurier !

Mai 1855.

Collection: 
1843

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