Noël breton

 

I

Un bruit s’est répandu dans la Basse-Bretagne.
On dit que l’Enfant-Dieu vient de naître, et soudain
Tout s’émeut de la mer à la noire montagne :
L’un a quitté sa barque et l’autre son jardin.

Que de gens ! Pour mieux voir l’aurore qui se lève,
ll en vient de la lande, il en vient de partout,
Et l’on dirait que tous, après un mauvais rêve,
En plein ciel étoilé s’éveillent tout à coup.

Le penn-bas à la main pour soutenir sa marche,
Un pêcheur au cheveux de neige est en avant.

Jeunes gens, hommes faits suivent le patriarche
Et reprennent en chœur son cantique fervent.

Bas rouges, robe noire et châle des dimanches,
Les femmes bravement leur emboîtent le pas ;
Et c’est au loin comme une mer de coiffes blanches.
Un flot qui toujours roule et qui n’est jamais las.

Fillettes au regard étonné, bonnes vieilles,
Il en est de tout âge et de toute couleur.
C’est le bourdonnement d’une ruche d’abeilles
Sous un soleil d’été, dans le courtil en fleur.

Et derrière, mon Dieu, que d’êtres en guenilles
Au visage dolent et pourtant guilleret !
Des boiteux dans l’azur agitent leurs béquilles,
Des ivrognes font halte au premier cabaret.

II

O chrétiens qui rêvez, en plein péché peut-être,
Aux périssables biens qu’on acquiert en passant,
Voyez donc quel palais a choisi, pour y naître,
L’unique, le grand Roi, le Seigneur tout-puissant.

Regardez, bonnes gens. Ce n’est qu’une humble crèche
Où la mère et l’enfant sont blottis dans le foin.

Un bœuf est là, soufflant de son haleine fraîche,
Un petit âne roux fait hi-han dans un coin.

Pauvre hutte branlante et que rien ne protège,
Sait-elle seulement qui lui vient aujourd’hui ?
Par l’étroite lucarne, où frissonne la neige,
Le vent du Nord tempête et hurle, il est chez lui.

Mais toute jeune est l’accouchée et toute blonde.
Son visage de fleur sourit divinement.
Le poupon qu’elle allaite est le Maître du monde,
Elle le berce, heureuse, avec un tremblement.

Et la mer au dehors, la grande mer s’arrête.
Recueillie et craintive, elle a l’air d’écouter,
Au fond du ciel éclate un cantique de fête ;
Tous les anges de Dieu se sont mis à chanter.

III

Nos gens sont arrivés bien las. Que leur importe ?
Voici l’heure adorable et le divin moment.
« Laissez, mes bons amis, vos penn-bas à la porte,
Dit Joseph, vous aurez bientôt contentement. »

Et la Vierge a souri, plus belle que l’aurore,
L’entant s’est éveillé, tendant ses petits bras.

Ah ! bien abandonné qui souffrirait encore !
Plus d’un tremble la fièvre et ne s’en doute pas.

Mais quel grand souffle emplit la chétive demeure ?
Le biniou prélude. O Dieu, la douce voix ?
C’est, sous le triste ciel, la Bretagne qui pleure,
La Bretagne qui pleure et qui chante à la fois.

Nos commères pourtant ont le cœur bien à l’aise ;
Laquelle ne voudrait toucher le nouveau-né ?
Elles ouvrent des yeux grands comme une fournaise,
Se disent l’une à l’autre : « Oh ! oh ! oh ! ma iné. »

Elles sont à genoux. Leurs larmes fendent l’âme.
Toute mouillée encor, s’envole une chanson.
Faut-il pas attendrir la bonne chère dame
Et faire rire un peu le joli nourrisson ?

Déjà, grâce aux pêcheurs, frétillent sur la paille
De beaux poissons d’argent avec des reflets bleus.
Que ce homard a l’air terrible, et quelle taille !
Le turbot sans pareil, le bar miraculeux ?

Et voici qu’un lait pur écume dans les jattes.
On allume le feu : c’est pour la soupe aux choux.
Il suffit d’un instant pour griller les patates.
Vive les crêpes d’or avec le cidre doux !

La longue Zéphyrine apporte un pot de beurre,
Et choit tout de son long, si grand est son émoi ;
En fait de goutte, Aimée eût toujours la meilleure,
Francine offre son cœur et c’est assez, ma foi.

Mais le plus beau de tout, c’est le petit navire
Que bien dévotement présentent les gamins ;
L’Enfant-Dieu s’émerveille à ce bateau qui vire,
Il rit, en regardant sa mère, et bat des mains.

Seul, monsieur du Jacquot, seigneur plein de prudence,
Reste majestueux. Qui pourrait le troubler ?
Cependant il salue, et, par condescendance,
Il a caressé l’âne avant de s’en aller.

Collection: 
1901

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