Utopistes que nous sommes,
Comme on doit nous trouver fous !
Vouloir le bonheur des hommes
Mais de quoi nous mêlons-nous ?
Mieux vaut chanter à la ronde
Et boire à plein gobelet ;
Ne dérangeons pas le monde,
Laissons chacun comme il est !
Leur logique m’exaspère.
Ils répondent : « C’est la loi !
J’ai fait comme a fait mon père ;
Mon fils fera comme moi. »
C’est la routine qui fonde.
La foi dit son chapelet.
Ne dérangeons pas le monde,
Laissons chacun comme il est !
Le hibou craint la lumière,
L’éclairer est inhumain ;
La roue aime son ornière,
Ne ferrons pas le chemin.
Plus l’oeuvre est haute et féconde
Et plus aigre le sifflet.
Ne dérangeons pas le monde,
Laissons chacun comme il est !
Notre parole s’émousse
Sur la masse de granit.
Tentons-nous quelque secousse,
On nous frappe, on nous bannit.
Prouvez que la terre est ronde
Et l’on vous prend au collet.
Ne dérangeons pas le monde,
Laissons chacun comme il est !
Après tout, foules inertes,
J’ai grand tort d’être obstiné.
Votre idéal, mouches vertes,
N’est pas celui de mon nez.
Des étangs, le peuple immonde,
Dans l’eau stagnante se plaît.
Ne dérangeons pas le monde,
Laissons chacun comme il est.
Donc, mes bons, plus de querelle,
Souffrez, portez votre croix.
La femme de Sganarelle
Veut qu’on la rosse parfois.
Allez, moutons, qu’on vous tonde !
Fais-toi traire, vache à lait.
Ne dérangeons pas le monde,
Laissons chacun comme il est.