O de quelle splendeur brillaient nos jours passés,
Quand un autre soleil échauffait la patrie ;
Quand nos jeunes lauriers, vers le ciel élancés,
Agitaient noblement leur tige refleurie !
Ces grands jours, déjà loin, ne vont plus s’éveiller :
Notre avenir se décolore,
Et le siècle prodigue a jeté dès l’aurore
Tout l’éclat dont il dut briller.
Sur un rocher désert notre grand capitaine
Du poids de ses malheurs se sentit accablé ;
Et comme lui, plus tard, une plage lointaine
Dévora David exilé !
Que de gloire, que d’espérance
On voit s’éteindre chaque jour !
De la couronne de la France
Que de fleurs tombent sans retour !
Que de mortels de qui l’aurore
Rayonna d’immortalité,
Et dont ce siècle jeune encore
Est déjà la postérité !
Un regret plus profond nous a frappés naguère ;
Le modèle du citoyen,
De notre liberté le plus digne soutien,
Est descendu dans la poussière ! —
Mais encore une fois le sol s’est divisé :
C’est une autre fosse qu’on ouvre ;
Près de la terre qui le couvre,
Un nouveau tombeau s’est creusé !
Qu’attend-il ? Quelle autre victime
Doit y descendre cette fois ? —
C’est cet interprète sublime
Qui fit souvent parler les rois :
À sa vue, à ses traits, vers les jours d’un autre âge
L’homme se croyait transporté ;
Et dans sa voix, dans son visage,
Vivait toute l’antiquité.
Héros de la Grèce et de Rome,
O vous, l’honneur des temps passés,
Vous tombez avec le grand homme
Qui vous a si bien retracés.
Il meurt, ce flambeau de la scène
Que long-temps son souffle anima :
Pleurez, amants de Melpomène,
Pleurez Talma ! Pleurez Talma !
Ah ! chargez de lauriers la terre enorgueillie :
Des lauriers, des lauriers encor ;
Français, la gloire et le génie
Perdent leur plus riche trésor !
Qui pourra jamais rendre une telle espérance
Aux arts surpris et triomphants ?
Il faut des siècles à la France
Pour produire de tels enfants.
Nous ne l’entendrons plus ! — Cet organe sublime
Qui fit si bien parler le courage et le crime,
Et pénétra nos cœurs de sentimens si beaux,
S’est éteint pour jamais dans la nuit des tombeaux !
Nous ne le verrons plus ! — C’est en vain qu’au théâtre,
Qu’il remplit si souvent d’une foule idolâtre,
Nous chercherons ce port si plein de majesté,
Cette toge où vivait un air d’antiquité,
Cet œil étincelant d’une si noble flamme,
Ces traits pleins d’énergie, où s’imprimait son âme,
Cet organe brûlant, tant de fois entendu,
Qui traînait après soi notre esprit suspendu.....
Plus de Talma ! — La scène, à tous les yeux déserte,
D’inutiles acteurs en vain sera couverte ;
En vain d’attraits nouveaux on voudra l’embellir....,
Un vide y restera.... qui ne peut se remplir.
Écoutez ! Écoutez ! Je crois entendre encore
Les sublimes accents de cette voix sonore :
Ici, Brutus aux yeux du public transporté
Parle de la patrie et de la liberté ;
Germanicus trahi périt avec courage,
Et Régulus s’écrie : À Carthage ! À Carthage !
Marius et Sylla rappellent par leurs traits
Ceux d’un héros plus grand, cher encore aux Français ;
Marius indigné contre Rome conspire,
Et César perd la vie en acceptant l’empire.
D’Othello, d’Orosmane, objets de nos terreurs,
Qu’il représente bien les jalouses fureurs !
Que de rage dans leur sourire !
Au fils d’Agamemnon qu’il prête en son délire
Une étonnante vérité !
Rien de lui-même en lui ne reste,
Ce n’est plus Talma…, c’est Oreste....,
C’est Oreste ressuscité !
— Et le voilà !!! — Pour lui la tombe s’est ouverte :
La France maintenant peut mesurer sa perte !
Elle voit son cercueil pour la dernière fois :
Où le placera-t-on ? Quelle noble demeure
Garde-t-on pour celui sur qui la France pleure ?
Va-t-il, comme Garrick, dans le tombeau des rois ?
— Non ! le grand homme qui succombe
Est, dit-on, digne de l’enfer ;
L’Éternel le réprouve, et l’Église à sa tombe
Refusera ses pleurs… qui se vendent si cher.