Marco

Quand Marco passait, tous les jeunes hommes
Se penchaient pour voir ses yeux, des Sodomes
Où les feux d’Amour brûlaient sans pitié
Ta pauvre cahute, ô froide Amitié ;
Tout autour dansaient des parfums mystiques
Où l’âme, en pleurant, s’anéantissait.
Sur ses cheveux roux un charme glissait ;
Sa robe rendait d’étranges musiques
Quand Marco passait.

Quand Marco chantait, ses mains, sur l’ivoire
Évoquaient souvent la profondeur noire
Des airs primitifs que nul n’a redits,
Et sa voix montait dans les paradis
De la symphonie immense des rêves,
Et l’enthousiasme alors transportait
Vers des cieux connus quiconque écoutait
Ce timbre d’argent qui vibrait sans trêves,
Quand Marco chantait.

Quand Marco pleurait, ses terribles larmes
Défiaient l’éclat des plus belles armes ;
Ses lèvres de sang fonçaient leur carmin
Et son désespoir n’avait rien d’humain ;
Pareil au foyer que l’huile exaspère,
Son courroux croissait, rouge, et l’on aurait
Dit d’une lionne à l’âpre forêt
Communiquant sa terrible colère,
Quand Marco pleurait.

Quand Marco dansait, sa jupe moirée
Allait et venait comme une marée,
Et, tel qu’un bambou flexible, son flanc
Se tordait, faisant saillir son sein blanc ;
Un éclair partait. Sa jambe de marbre,
Emphatiquement cynique, haussait
Ses mates splendeurs, et cela faisait
Le bruit du vent de la nuit dans un arbre,
Quand Marco dansait.

Quand Marco dormait, oh ! quels parfums d’ambre
Et de chair mêlés opprimaient la chambre !
Sous les draps la ligne exquise du dos
Ondulait, et dans l’ombre des rideaux
L’haleine montait, rhythmique et légère ;
Un sommeil heureux et calme fermait
Ses yeux, et ce doux mystère charmait
Les vagues objets parmi l’étagère,
Quand Marco dormait.

Mais quand elle aimait, des flots de luxure
Débordaient, ainsi que d’une blessure
Sort un sang vermeil qui fume et qui bout,
De ce corps cruel que son crime absout :
Le torrent rompait les digues de l’âme,
Noyait la pensée, et bouleversait
Tout sur son passage, et rebondissait
Souple et dévorant comme de la flamme,
Et puis se glaçait.

Collection: 
1902

More from Poet

  • Les sanglots longs
    Des violons
    De l’automne
    Blessent mon cœur
    D’une langueur
    Monotone.

    Tout suffocant
    Et blême, quand
    Sonne l’heure,
    Je me souviens
    Des jours anciens
    Et je pleure;

    Et je m’en vais
    Au vent mauvais...

  • (A Germain Nouveau)

    Dans une rue, au coeur d'une ville de rêve
    Ce sera comme quand on a déjà vécu :
    Un instant à la fois très vague et très aigu...
    Ô ce soleil parmi la brume qui se lève !

    Ô ce cri sur la mer, cette voix dans les bois !
    Ce sera comme quand...

  • Un pavillon à claires-voies
    Abrite doucement nos joies
    Qu'éventent des rosiers amis;

    L'odeur des roses, faible, grâce
    Au vent léger d'été qui passe,
    Se mêle aux parfums qu'elle a mis ;

    Comme ses yeux l'avaient promis,
    Son courage est grand et sa lèvre...

  • Je suis l'Empire à la fin de la décadence,
    Qui regarde passer les grands Barbares blancs
    En composant des acrostiches indolents
    D'un style d'or où la langueur du soleil danse.

    L'âme seulette a mal au coeur d'un ennui dense.
    Là-bas on dit qu'il est de longs combats...

  • (A Villiers de l'Isle-Adam)

    Dans un palais, soie et or, dans Ecbatane,
    De beaux démons, des satans adolescents,
    Au son d'une musique mahométane,
    Font litière aux Sept Péchés de leurs cinq sens.

    C'est la fête aux Sept Péchés : ô qu'elle est belle !
    Tous les...