de Fontenay, le premier Jour de Mai 1705
Loin de la foule et du bruit,
Je suis dans mon château, comme vous dans le vôtre :
Car ne se peut prendre pour autre
Que pour château, votre réduit ;
Et croiriez une baliverne,
Si, sur la foi d'une lanterne
Qui par l'ordre d'Argenson luit,
Vous pensiez qu'être aux Incurables,
Entre gens un peu raisonnables,
Ce soit demeurer à Paris.
Entre nous autres beaux esprits
Qu'il faut bien que dans nos écrits,
Toujours la justesse accompagne,
Vous demeurez à la campagne ;
Et pour moi, maintenant j'y suis.
C'est là que, plus touché d'un ruisseau qui murmure,
Que de tous ces vains ornements
Fils de l'art et de l'imposture,
Je me fais des amusemens
De tout ce qu'à mes yeux présente la nature.
Quel plaisir de la voir rajeunir chaque jour !
Elle rit dans nos prés, verdit dans nos boccages,
Fleurit dans nos jardins et dans les doux ramages
Des oiseaux de nos bois elle parle d'amour.
Hélas ! pourquoi faut-il, par une loi trop dure,
Que la jeunesse des saisons,
Qui rend la verte chevelure
A nos arbres, à nos buissons,
Ne puisse ranimer notre machine usée ;
Rendre à mon sang glacé son ancienne chaleur,
A mon corps, à mes sens leur premiere vigueur,
Et d'esprits tout nouveaux réchauffer ma pensée ;
Surtout, rendre à mon coeur ces tendres sentimens,
Ces transports, ces fureurs, ces précieuses larmes,
Qui de nos jours font l'unique printems,
Et dont mon coeur usé ne connoît plus les charmes ?
Alors vous me verriez cent fois à vos genoux
Vous redire combien vous me semblez aimable ;
Vous jurer que le ciel me fit exprès pour vous ;
Que mon attachement seroit tendre et durable ;
Que dans l'imagination
Quelque chose de simpathique
Prépare entre nous l'union
Par où l'amour au coeur souvent se communique ;
Enfin, sans vous chercher cent autres agrémens,
Que vous avez tous les talens
Que je sens qu'il faut pour me plaire.
Ainsi je parlerois dans ces bienheureux tems ;
Mais je dois maintenant me taire.