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ous qui ronflez au coin d’une épouse endormie,
Ruminant ! savez-vous ce soupir : l’Insomnie ?
— Avez-vous vu la Nuit, et le Sommeil ailé,
Papillon de minuit dans la nuit envolé,
Sans un coup d’aile ami, vous laissant sur le seuil,
Seul, dans le pot-au-noir au couvercle sans œil ?
— Avez-vous navigué ?… La pensée est la houle
Ressassant le galet : ma tête… votre boule.
— Vous êtes-vous laissé voyager en ballon ?
— Non ? — bien, c’est l’insomnie. — Un grand coup de talon
Là ! — Vous voyez cligner des chandelles étranges :
Une femme, une Gloire en soleil, des archanges…
Et, la nuit s’éteignant dans le jour à demi,
Vous vous réveillez coi, sans vous être endormi.
*
ommeil ! écoute-moi : je parlerai bien bas :
Sommeil — Ciel-de-lit de ceux qui n’en ont pas !
oi qui planes avec l’Albatros des tempêtes,
Et qui t’assieds sur les casques-à-mèche honnêtes !
Sommeil ! — Oreiller blanc des vierges assez bêtes !
Et Soupape à secret des vierges assez faites !
— Moelleux Matelas de l’échine en arête !
Sac noir où les chassés s’en vont cacher leur tête !
Rôdeur de boulevard extérieur ! Proxénète !
Pays où le muet se réveille prophète !
Césure du vers long, et Rime du poète !
ommeil ! — Loup-Garou gris ! Sommeil Noir de fumée !
Sommeil ! — Loup de velours, de dentelle embaumée !
Baiser de l’Inconnue, et Baiser de l’Aimée !
— Sommeil ! Voleur de nuit ! Folle-brise pâmée !
Parfum qui monte au ciel des tombes parfumées !
Carrosse à Cendrillon ramassant les Traînées !
Obscène Confesseur des dévotes mort-nées !
oi qui viens, comme un chien, lécher la vieille plaie
Du martyr que la mort tiraille sur sa claie !
Ô sourire forcé de la crise tuée !
Sommeil Brise alizée ! Aurorale buée !
rop-plein de l’existence, et Torchon neuf qu’on passe
Au CAFÉ DE LA VIE, à chaque assiette grasse !
Grain d’ennui qui nous pleut de l’ennui des espaces !
Chose qui court encor, sans sillage et sans traces !
Pont-levis des fossés ! Passage des impasses !
ommeil ! — Caméléon tout pailleté d’étoiles !
Vaisseau-fantôme errant tout seul à pleines voiles !
Femme du rendez-vous, s’enveloppant d’un voile !
Sommeil ! — Triste Araignée, étends sur moi ta toile !
ommeil auréolé ! féerique Apothéose,
Exaltant le grabat du déclassé qui pose !
Patient Auditeur de l’incompris qui cause !
Refuge du pêcheur, de l’innocent qui n’ose !
Domino ! Diables-bleus ! Ange-gardien rose !
oix mortelle qui vibre aux immortelles ondes !
Réveil des échos morts et des choses profondes,
— Journal du soir : Temps, Siècle et Revue des deux mondes !
ontaine de Jouvence et Borne de l’envie !
— Toi qui viens assouvir la faim inassouvie !
Toi qui viens délier la pauvre âme ravie,
Pour la noyer d’air pur au large de la vie !
oi qui, le rideau bas, viens lâcher la ficelle
Du Chat, du Commissaire, et de Polichinelle,
Du violoncelliste et de son violoncelle,
Et la lyre de ceux dont la Muse est pucelle !
rand Dieu, Maître de tout ! Maître de ma Maîtresse
Qui me trompe avec toi — l’amoureuse Paresse —
Ô bain de voluptés ! Éventail de caresse !
ommeil ! Honnêteté des voleurs ! Clair de lune
Des yeux crevés ! — Sommeil ! Roulette de fortune
De tout infortuné ! Balayeur de rancune !
corde-de-pendu de la Planète lourde !
Accord éolien hantant l’oreille sourde !
— Beau Conteur à dormir debout : conte ta bourde ?…
Sommeil ! — Foyer de ceux dont morte est la falourde !
ommeil — Foyer de ceux dont la falourde est morte !
Passe-partout de ceux qui sont mis à la porte !
Face-de-bois pour les créanciers et leur sorte !
Paravent du mari contre la femme-forte !
urface des profonds ! Profondeur des jocrisses !
Nourrice du soldat et Soldat des nourrices !
Paix des juges-de-paix ! Police des polices !
Sommeil ! — Belle-de-nuit entr’ouvrant son calice !
Larve, Ver-luisant et nocturne Cilice !
Puits de vérité de monsieur la Palisse !
oupirail d’en haut ! Rais de poussière impalpable,
Qui viens rayer du jour la lanterne implacable !
*
ommeil — Écoute-moi, je parlerai bien bas :
Crépuscule flottant de l’Être ou n’Être pas !…
ombre lucidité ! Clair-obscur ! Souvenir
De l’Inouï ! Marée ! Horizon ! Avenir !
Conte des Mille-et-une-nuits doux à ouïr !
Lampiste d'Aladin qui sais nous éblouir !
Eunuque noir ! muet blanc ! Derviche ! Djinn ! Fakir !
Conte de Fée où le Roi se laisse assoupir !
Forêt-vierge où Peau-d’Âne en pleurs va s’accroupir !
Garde-manger où l’Ogre encor va s’assouvir !
Tourelle où ma sœur Anne allait voir rien venir !
Tour où dame Malbrouck voyait page courir…
Où Femme Barbe-Bleue oyait l’heure mourir !…
Où Belle au-Bois-Dormant dormait dans un soupir !
uirasse du petit ! Camisole du fort !
Lampion des éteints ! Éteignoir du remord !
Conscience du juste, et du pochard qui dort !
Contre-poids des poids faux de l’épicier de Sort !
Portrait enluminé de la livide Mort !
rand fleuve où Cupidon va retremper ses dards
Sommeil ! — Corne de Diane, et corne du cornard !
Couveur de magistrats et Couveur de lézards !
Marmite d’Arlequin ! — bout de cuir, lard, homard —
Sommeil ! — Noce de ceux qui sont dans les beaux-arts.
oulet des forcenés, Liberté des captifs !
Sabbat du somnambule et Relais des poussifs ! —
Somme ! Actif du passif et Passif de l’actif !
Pavillon de la Folle et Folle du poncif !…
— Ô viens changer de patte au cormoran pensif !
brun Amant de l’Ombre ! Amant honteux du jour !
Bal de nuit où Psyché veut démasquer l’Amour !
Grosse Nudité du chanoine en jupon court !
Panier-à-salade idéal ! Banal four !
Omnibus où, dans l’Orbe, on fait pour rien un tour !
ommeil ! Drame hagard ! Sommeil, molle Langueur !
Bouche d’or du silence et Bâillon du blagueur !
Berceuse des vaincus ! Perchoir des coqs vainqueurs !
Alinéa du livre où dorment les longueurs !
u jeune homme rêveur Singulier Féminin !
De la femme rêvant pluriel masculin !
ommeil ! — Râtelier du Pégase fringant !
Sommeil ! — Petite pluie abattant l’ouragan !
Sommeil ! — Dédale vague où vient le revenant !
Sommeil ! — Long corridor où plangore le vent !
éant du fainéant ! Lazzarone infini !
Aurore boréale au sein du jour terni !
ommeil ! — Autant de pris sur notre éternité !
Tour du cadran à blanc ! Clou du Mont-de-Piété !
Héritage en Espagne à tout déshérité !
Coup de rapière dans l’eau du fleuve Léthé !
Génie au nimbe d’or des grands hallucinés
Nid des petits hiboux ! Aile des déplumés !
mmense Vache à lait dont nous sommes les veaux !
Arche où le hère et le boa changent de peaux !
Arc-en-ciel miroitant ! Faux du vrai ! Vrai du faux !
Ivresse que la brute appelle le repos !
Sorcière de Bohême à sayon d’oripeaux !
Tityre sous l’ombrage essayant des pipeaux !
Temps qui porte un chibouck à la place de faux !
Parque qui met un peu d’huile à ses ciseaux !
Parque qui met un peu de chanvre à ses fuseaux !
Chat qui joue avec le peloton d’Atropos !
ommeil ! — Manne de grâce au cœur disgracié !
*
oi qui souffles dessus une épouse enrayée,
Ruminant ! dilatant ta pupille éraillée ;
Sais-tu ?… Ne sais-tu pas ce soupir — le Réveil ! —
Qui baille au ciel, parmi les crins d’or du soleil
Et les crins fous de ta Déesse ardente et blonde ?…
— Non ?… — Sais-tu le réveil du philosophe immonde
— Le Porc — rognonnant sa prière du matin ;
Ou le réveil, extrait-d’âge de la catin ?…
As-tu jamais sonné le réveil de la meute ;
As-tu jamais senti l’éveil sourd de l’émeute,
Ou le réveil de plomb du malade fini ?…
As-tu vu s’étirer l’œil des Lazzaroni ?…
Sais-tu ?… ne sais-tu pas le chant de l’alouette ?
— Non — Gluants sont tes cils, pâteuse est ta luette,
Ruminant ! Tu n’as pas l’Insomnie, éveillé ;
Tu n’as pas le Sommeil, ô Sac ensommeillé !