Les Vieillards

Nous sommes les vieillards orgueilleux de survivre...
Dans les bois réveillés par des clameurs de cuivre,
Dans les villes en deuil et les champs ravagés
Des chevaux ont foulé nos reines massacrées ;
Nous avons vu périr sous des mains abhorrées
Les grappes de la vigne et les fruits des vergers.

Nos frères sont tombés en d’immondes vallées,
Dans des pays de nuit nos vierges exilées
Ont versé pour les rois l’hydromel et le vin.
Nous voulons voir encor mentir l’aurore claire
Et le soleil, gorgé de sang crépusculaire,
Comme un lion repu dormir dans le ravin.
 

Nous sommes les aïeux fiers de nos cent années.
Ô temps sacré ! le fouet des dures destinées
Pendant un siècle entier a frappé sur nos reins.
Nous voulons vivre encore, ô montagnes amies,
Et contempler parmi les treilles endormies
L’antique trahison des étés souverains.

Collection: 
1890

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