Dans l’âtre brûlent les tisons,
Les tisons noirs aux flammes roses ;
Dehors hurlent les vents moroses,
Les vents des vilaines saisons.
Contre les chenets roux de rouille,
Mon chat frotte son maigre dos.
En les ramages des rideaux,
On dirait un essaim qui grouille :
C’est le passé, c’est le passé
Qui pleure la tendresse morte ;
C’est le bonheur que l’heure emporte
Qui chante sur un ton lassé.
Là-bas, où, sous les ciels attiques,
Les crépuscules radieux
Teignent d’améthyste les Dieux
Sculptés aux frises des portiques ;
Où, dans le feuillage argenté
Des peupliers aux torses maigres,
Crépitent les cigales aigres
Ivres des coupes de l’Eté ;
Là-bas, où d’or fin sont les sables
Et d’azur rythmique les mers,
Où pendent les citrons amers
Dans les bosquets impérissables,
La vierge aux seins inapaisés
Plus belle que la Tyndaride,
Fit couler sur ma lèvre aride
Le dictame de ses baisers.
D’où vient cette aubade câline
Chantée-on eût dit-en bateau,
Où se mêle un pizzicato
De guitare et de mandoline ?
Pourquoi cette chaleur de plomb
Où passent des senteurs d’orange,
Et pourquoi la séquelle étrange
De ces pèlerins à froc blond ?
Et cette dame quelle est-elle,
Cette dame que l’on dirait
Peinte par le vieux Tintoret
Dans sa robe de brocatelle ?
Je me souviens, je me souviens :
Ce sont des défuntes années,
Ce sont des guirlandes fanées
Et ce sont des rêves anciens !
Parmi des chênes, accoudée
Sur la colline au vert gazon,
Se dresse la blanche maison,
De chèvrefeuille enguirlandée.
A la fenêtre, où dans des pots,
Fleurit la pâle marguerite,
Soupire une autre Marguerite :
Mon coeur a perdu son repos...
Le lin moule sa gorge plate
Riche de candides aveux,
Et la splendeur de ses cheveux
Ainsi qu’un orbe d’or éclate.
Va-t-elle murmurer mon nom ?
Irons-nous encor sous les graves
Porches du vieux burg des burgraves ?
Songe éteint, renaîtras-tu ? -non !
Hautes sierras aux gorges nues,
Lacs d’émeraude, lacs glacés,
Isards sur les crêtes dressés,
Aigles qui planez par les nues ;
Sapins sombres aux larges troncs,
Fondrières de l’Entécade
Où chante la fraîche cascade
Derrière les rhododendrons ;
Et vous, talus plantés d’yeuses,
Irai-je encor par les sentiers
Mêlant les rouges églantiers
A la pâleur des scabieuses ?
Dans les massifs emplis de geais
Mènerai-je encore à la brune
La jeune belle à la peau brune,
Au pied mignon, à l’œil de jais ?
En jupe de peluche noire,
Avec des chapeaux tout fleuris,
Mes folles amours de Paris
Chantent autour de ma mémoire.
Elles ont des cheveux d’or pur,
Et, sous les blanches cascatelles
Des guipures et des dentelles,
Des seins de lis veinés d’azur.
Avec une audace espagnole,
ma gourmande caresse n’a-
t-elle aux genoux de Rosina
moqué les verrous de Barthole ?
N’ai-je pas promené ma main,
avec des luxures d’artiste,
sous des chemises de batiste
embaumant l’ambre et le jasmin ?
Contre les chenets roux de rouille
le chat ne frotte plus son dos.
En les ramages des rideaux
on n’entend plus d’essaim qui grouille.
Dans l’âtre pleins de noirs tisons,
eteintes sont les flammes roses ;
et seuls hurlent les vents moroses,
les vents des vilaines saisons.
Parc ducal. Le ciel fige en du smalt les branches.
Dans les nids, gazouillis d’oisels et d’oiselles.
Seigneurs très chamarrés, gentes damoiselles.
Des fleurs rouges, des fleurs jaunes, des fleurs blanches.
Cheveux longs à la brise épars, courbes hanches.
Vos lèvres s’irisaient de vin de Moselle.
J’ai humé longuement vos yeux de gazelle,
derrière les buissons piqués de pervenches.
Vieux chambellan gâteux en culotte courte,
vous offrit, sur un plat d’argent, de la tourte,
avec un madrigal suranné, Graefin ;
il vous baisa le bout de votre main lisse ;
vous lui fîtes, je crois, des yeux en coulisse
et vous ne sûtes point que j’avais le spleen.
Des lèvres de bacchide et des yeux de madone,
des sourcils bifurqués où le diable a son pleige ;
ses cheveux vaporeux que le peigne abandonne
sont couronnés de fleurs plus froides que la neige.
Vient-elle de l’alcôve ou bien de l’ossuaire,
lorsque ses mules d’or frôlent les dalles grises ?
Est-ce voile d’hymen ou funèbre suaire,
la gaze qui palpite aux vespérales brises ?
Autour du burg, la lune, aux nécromants fidèle,
filtre en gouttes d’argent à travers les ramures.
Et l’on entend frémir, ainsi que des coups d’aile,
des harpes, dans la salle où rêvent les armures.
Seins des femmes ! ô seins de lis ! ô seins de nacre !
Vos rythmes indolents dorlotent nos blessures.
Leurs lèvres ! Vous gardez, en vos calices l’âcre
saveur des bigarreaux et des grenades sures.
-mais, aux bords fabuleux des fleuves du Levant,
j’eus mes rêves bercés aux ghazels des Péris ;
et, dans l’antre fatal, la dame de Mervent
scella mes yeux pensifs de ses baisers fleuris.
Sur la nappe ouvragée où le festin s’exalte,
la venaison royale alterne aux fruits des îles ;
dans les chypres et les muscats de Rivesalte,
endormeur des soucis, ô Léthé, tu t’exiles.
-mais l’antique hippogriffe au vol jamais fourbu,
m’a porté sur son aile à la table des dieux ;
et là, dans la clarté sidérale, j’ai bu,
à pleine urne, les flots du nectar radieux.
III
En ces âges maudits insultant aux chimères,
pareils aux hurlements impurs des filles soûles,
jusqu’à vos pieds d’argile, ô gloires éphémères,
montent les hosannas sacrilèges des foules.
-mais, sous les myrtes blancs de la sainte Délos
que baigne l’archipel de ses flux et reflux,
je crois ouïr mon nom éclatant dans les los
chantés, en le futur, aux poètes élus. -
mystiques sont, là-bas, les clairs de lune bleus :
ô votre front poli nimbé de clair de lune !
Berceuse est la chanson des archipels houleux :
ô vos cheveux errants aux brises de la dune !
Sous votre pied d’airain, Astarté, foulez-nous :
voici le Koh-innor, les jades de Palmyre !
êtes-vous la Madone adorée à genoux ?
Mon âme montera comme un parfum de myrrhe !
Tes mains semblant sortir d’une tapisserie
très ancienne où l’argent à l’or brun se marie,
où parmi les fouillis bizarres des ramages
se bossue en relief le contour des images,
me parlent de beaux rapts et de royale orgie,
et de tournois de preux, dont j’ai la nostalgie.
Tes mains à l’ongle rose et tranchant comme un bec
durent pincer jadis la harpe et le rebec,
sous le dais incrusté du portique ogival
ouvrant ses treillis d’or à la fraîcheur du val,
et, pleines d’onction, rougir leurs fins anneaux
de chrysoprase, dans le sang des huguenots.
Tes mains aux doigts pâlis semblent des mains de sainte
par Giotto rêvée et pieusement peinte
en un coin très obscur de quelque basilique
pleine de chapes d’or, de cierges, de reliques,
où je voudrais dormir tel qu’un évêque mort,
dans un tombeau sculpté, sans crainte et sans remord.
Tu me lias de tes mains blanches,
tu me lias de tes mains fines,
avec des chaînes de pervenches,
et des cordes de capucines.
Laisse tes mains blanches,
tes mains fines,
m’enchaîner avec des pervenches
et des capucines.
N’écoute plus l’archet plaintif qui se lamente
comme un ramier mourant le long des boulingrins ;
ne tente plus l’essor des rêves pérégrins
traînant des ailes d’or dans l’argile infamante.
Viens par ici : voici les féeriques décors,
dans du Sèvres les mets exquis dont tu te sèvres,
les coupes de Samos pour y tremper tes lèvres,
et les divans profonds pour reposer ton corps.
Viens par ici : voici l’ardente érubescence
des cheveux roux piqués de fleurs et de béryls,
les étangs des yeux pers, et les roses avrils
des croupes, et les lis des seins frottés d’essence
viens humer le fumet-et mordre à pleines dents
à la banalité suave de la vie,
et dormir le sommeil de la bête assouvie,
dédaigneux des splendeurs des songes transcendants.
Assez d’abstinences moroses :
de Schiraz effeuillons les roses
au bord du lac sacré,
et que pour moi l’amour ruisselle
de sa lèvre d’alme pucelle,
plus doux qu’un vin sucré.
II
Assez de chrysolithe terne :
que l’on me montre la caverne
des kohinors-soleils,
et des saphirs plus bleus que l’onde,
et des clairs rubis de Golconde
au sang des dieux pareils.
Assez d’existence servile :
que l’on m’emporte dans la ville
où je serai le Khan,
infaillible comme un prophète
et dont la justice parfaite
prodigue le carcan.
La lune se mirait dans le lac taciturne,
pâle comme un grand lis, pleine de nonchaloirs.
-quel lutin nous versait les philtres de son urne ? -
la brise sanglotait parmi les arbres noirs…
baiser spirituel, son baiser, sois béni !
Dans mon coeur plein d’horreur tu ravivas la flamme,
dans mon coeur plein d’horreur, mon pauvre coeur terni.
-ai-je effleuré sa lèvre ? Ai-je humé son âme ?
Je veux un amour plein de sanglots et de pleurs,
un amour au front pâle orné d’une couronne
de roses dont la pluie a terni les couleurs,
je veux un amour plein de sanglots et de pleurs.
Je veux un amour triste ainsi qu’un ciel d’automne,
un amour qui serait comme un bois planté d’ifs
où dans la nuit le cor mélancolique sonne ;
je veux un amour triste ainsi qu’un ciel d’automne,
fait de remords très lents et de baisers furtifs,
mon coeur est un cercueil vide dans une tombe ;
mon âme est un manoir hanté par les corbeaux.
-ton coeur est un jardin plein des lis les plus beaux ;
ton âme est blanche ainsi que la blanche colombe.
Mon rêve est un ciel bas où sanglote le vent ;
mon avenir, un tertre en friche sur la lande.
-ton rêve est pur ainsi que la plus pure offrande,
ton avenir sourit comme un soleil levant.
Ma bouche a les venins des fauves belladones ;
mes sombres yeux sont pleins des haines des maudits.
-ta bouche est une fleur éclose au paradis,
tes chastes yeux sont bons comme ceux des madones.
Dans les jardins mouillés, parmi les vertes branches,
scintille la splendeur des belles roses blanches.
La chenille striée et les noirs moucherons
insultent vainement la neige de leurs fronts :
car, lorsque vient la nuit traînant de larges voiles,
que s’allument au ciel les premières étoiles,
dans les berceaux fleuris, les larmes des lutins
lavent toute souillure, et l’éclat des matins
fait miroiter encor parmi les vertes branches
le peplum virginal des belles roses blanches.
Ainsi, ma belle, bien qu’entre tes bras mutins
je sente s’éveiller des désirs clandestins,
bien que vienne parfois la sorcière hystérie
me verser les poisons de sa bouche flétrie,
quand j’ai lavé mes sens en tes yeux obsesseurs,
j’aime mieux de tes yeux les mystiques douceurs
que l’irritant contour de tes fringantes hanches,
et mon amour, absous de ses désirs pervers,
en moi s’épanouit comme les roses blanches
qui s’ouvrent au matin parmi les arbres verts.
Bientôt viendra la neige au blanc manteau d’hermine ;
dans les parcs défeuillés, sous le ciel morne et gris,
sur leurs socles, parmi les boulingrins flétris,
les priapes frileux feront bien triste mine.
Alors, ma toute belle, assis au coin du feu,
aux rouges flamboiements des bûches crépitantes,
nous reverrons, au fond des visions latentes,
le paysage vert, le paysage bleu,
le paysage vert et rose et jaune et mauve
où murmure l’eau claire en les fouillis des joncs,
où se dresse au-dessus des fourrés sauvageons
le cône menaçant de la montagne chauve.
Nous reverrons les boeufs, les grands boeufs blancs et roux,
traînant des chariots sous l’ardeur tropicale,
et sur le pont très vieux la très vieille bancale
et le jeune crétin au ricanement doux.
Ainsi nous revivrons nos extases éteintes
et nous ranimerons nos bonheurs saccagés
et nous ressentirons nos baisers échangés
dans les campagnes d’or et d’émeraude teintes.
Hélas ! N’écoutant pas la voix des sorts moqueurs
et laissant mon esprit s’enivrer de chimères,
je ne veux pas penser que les ondes amères
vont se mettre bientôt au travers de nos coeurs.
Rouges comme un fer de forge
ou le taureau qu’on égorge,
sous les regrets assassins
nos coeurs saignent dans nos seins.
Viennent donc des sorts propices
nous garer des précipices !
Que nous nous serrions la main
sans souci du lendemain ;
qu’enfin nous puissions sans trêve,
sans redouter l’heure brève,
sous les ciels profonds des lits
tordre nos corps affaiblis !
Hiver : la bise se lamente,
la neige couvre le verger.
Dans nos coeurs aussi, pauvre amante,
il va neiger, il va neiger.
Hier : c’était les soleils jaunes.
Hier, c’était encor l’été.
C’était l’eau courant sous les aulnes
dans le val de maïs planté.
Hier, c’était les blancs, les roses
lis, les lis d’or érubescent-
et demain : c’est les passeroses,
c’est les ifs plaintifs, balançant,
balançant leur verdure dense,
sur nos bonheurs ensevelis ;
demain, c’est la macabre danse
des souvenirs aux fronts pâlis ;
demain, c’est les doutes, les craintes,
c’est les désirs martyrisés,
c’est le coucher sans tes étreintes,
c’est le lever sans tes baisers.
Ne ternis pas de pleurs les mystiques prunelles
de tes grands yeux navrés, striés d’or et d’agate ;
laisse-la t’emporter, la berceuse frégate,
par les immensités des vagues solennelles.
Triste, je rêverai, pendant mes nuits moroses,
de baisers alanguis et de caresses brusques,
de nids capitonnés où des coupes étrusques
s’exhalent les ennuis des chlorotiques roses.
Et l’absence irritant le désir qu’elle rive,
ma passion tenace où le souvenir veille
montera dans mon coeur, débordante et pareille
aux fluviales eaux qui grondent sur la rive.
Nous marchions nous tenant par la main, dans la rue
où sous les becs de gaz se heurte la cohue.
Sous les jasmins en fleur qui bordent le chemin,
à l’ombre nous marchions, nous tenant par la main.
Et ma joie est fanée avec le blanc jasmin.
Sa voix, perlant tout bas ses notes argentines,
berçait mon coeur, ainsi qu’un psaume des matines.
Son baiser acharné, grisant comme les nuits,
faisait sourire encor mon front chargé d’ennuis.
Et mes bras veufs en vain la cherchent dans les nuits.
Ce jour-là, les flots bleus susurreront plus bleus
le long des côtes blanches,
et du soleil frileux, les rayons plus frileux
se joueront dans les branches.
Malgré le rude hiver, les fleurs de l’églantier
souriront grand’ouvertes,
et l’on verra changer les cailloux du sentier
en émeraudes vertes.
Les loups pour les agneaux auront des soins exquis,
et sous l’oeil bon des aigles,
les grands vautours feront la cour, en fins marquis,
aux colombes espiègles.
Les dames, aux propos galants des séducteurs,
ne seront pas rebelles,
et les Almavivas, malgré les vieux tuteurs,
enlèveront leurs belles.
Car ce jour-là, jour saint, vaillamment attendu,
dans tes chastes prunelles,
mes yeux retrouveront le paradis perdu
des amours éternelles.
Car ce jour-là, les coeurs par le bonheur brisés,
mes lèvres dans les tiennes,
nous nous rappellerons en de nouveaux baisers
nos caresses anciennes.
La feuille des forêts
qui tourne dans la bise
là-bas, par les guérets,
la feuille des forêts
qui tourne dans la bise,
va-t-elle revenir
verdir-la même tige ?
L’eau claire des ruisseaux
qui passe claire et vive
à l’ombre des berceaux,
l’eau claire des ruisseaux
qui passe claire et vive,
va-t-elle retourner
baigner-la même rive ?
Irisant le ciel gris de nos mornes pensées,
ravivant les soleils éteints des renouveaux,
elles passent toujours au fond de nos cerveaux,
un bon souris sur des lèvres jamais plissées.
Leur prunelle est l’aurore, et leur natte tressée
est fulgurante ainsi que l’éclat des flambeaux.
Leur prunelle est la nuit, et, sur le cou massée,
leur chevelure est bleue ainsi que les corbeaux.
Aux accords pénétrants d’anciennes ritournelles,
Elles bercent nos cœurs pleins d’ennui ; ce sont elles
Qui pansent doucement nos blessures mortelles,
Elles qui, sur nos cils, viendront sécher nos pleurs.
-Et le temps, émondeur de beautés et de fleurs,
Met sur leur front vieilli de plus fraîches couleurs.
Parmi les marronniers, parmi les
Lilas blancs, les lilas violets,
La villa de houblon s’enguirlande,
De houblon et de lierre rampant.
La glycine, des vases bleus pend ;
Des glaïeuls, des tilleuls de Hollande.
Chère main aux longs doigts délicats,
Nous versant l’or du sang des muscats,
Dans la bonne fraîcheur des tonnelles,
Dans la bonne senteur des moissons,
Dans le soir, où languissent les sons
Des violons et des ritournelles.
Aux plaintifs tintements des bassins
Sur les nattes et sur les coussins,
Les paresses en les flots des tresses.
Dans la bonne senteur des lilas
Les soucis adoucis, les cœurs las
Dans la lente langueur des caresses.
Pauvre enfant, tes prunelles vierges,
malgré leur feu diamanté,
dans mon coeur, temple dévasté,
ne rallumeraient pas les cierges.
Pauvre enfant, les sons de ta voix
-telles les harpes séraphiques-
de mes souvenirs maléfiques
ne couvriraient pas les abois.
Pauvre enfant, de tes lèvres vaines,
la miraculeuse liqueur
n’adoucirait pas la rancoeur
qui tarit la vie en mes veines.
Pareil au climat meurtrier
déserté de toute colombe,
et pareil à la triste tombe,
où l’on ne vient jamais prier,
-ô la trop tard-au cours du fleuve
inéluctable, je m’en vais,
ayant au gré des vents mauvais
effeuillé ma couronne neuve.
Dans la basilique où les pâles cierges
font briller les ors du grand ostensoir,
sur les feuillets des missels à fermoir
courent les doigts fins des pudiques vierges.
Elle t’attendait, la vierge aux yeux bleus,
mais tu n’as pas su lire dans ses yeux-
dans la basilique, aux clartés des cierges.
Dans la chambre rose où les lilas blancs
mêlaient leurs parfums aux tiédeurs des bûches,
cette présidente en peignoir à ruches,
quand elle jouait avec ses perruches,
sangdieu ! Qu’elle avait des regards troublants !
Tu n’as pas cueilli les beaux lilas blancs,
tu n’as pas cherché les secrets troublants
du peignoir à traîne avecque des ruches,
dans la chambre rose où les lilas blancs
mêlaient leurs parfums aux tiédeurs des bûches.
Oisillon bleu couleur-du-temps,
tes chants, tes chants
dorlotent doucement les coeurs
meurtris par les destins moqueurs.
Oisillon bleu couleur-du-temps,
tes chants, tes chants
donnent de nouvelles vigueurs
aux corps minés par les langueurs.
Oisillon bleu couleur-du-temps,
tes chants, tes chants
font revivre les espoirs morts
et terrassent les vieux remords.
Oisillon bleu couleur-du-temps,
je t’ai cherché longtemps, longtemps,
par mont, par val et par ravin
en vain, en vain !
J’allumai la clarté mortuaire des lustres
au fond de la crypte où se révulse ton oeil,
et mon rêve cueillit les fleuraisons palustres
pour ennoblir ta chair de pâleur et de deuil.
Je proférai les sons d’étranges palatales,
selon les rites des trépassés nécromants,
et sur ta lèvre teinte au sang des digitales
fermentèrent soudain des philtres endormants.
Ainsi je t’ai créé de la suprême essence,
fantôme immarcessible au front d’astres nimbé,
pour me purifier de la concupiscence,
pour consoler mon cœur dans l’opprobre tombé.
Les roses jaunes ceignent les troncs
Des grands platanes, dans le jardin
Où c’est comme un tintement soudain
D’eau qui s’égoutte en les bassins ronds.
Nul battement d’ailes, au matin ;
Au soir, nul souffle couchant les fronts
Des lis pâlis, et des liserons
Pâlis au clair de lune incertain.
Et dans ce calme où la fraîcheur tombe,
c’est comme un apaisement de tombe,
comme une mort qui lente viendrait
sceller nos yeux de sa main clémente,
dans ce calme où rien ne se lamente
ou par l’espace, ou par la forêt.
Ai-je sucé les sucs d’innommés magistères ?
Quel succube au pied bot m’a-t-il donc envoûté ?
Oh ! Ne l’être plus, oh ! Ne l’avoir pas été !
Suc maléfique, ô magistères délétères !
Point d’holocauste offert sur les autels des Tyrs,
point d’âpres cauchemars, d’affres épileptiques !
Seuls les rêves pareils aux ciels clairs des tryptiques,
seuls les désirs nimbés du halo des martyrs !
Qui me rendra jamais l’hermine primitive,
et le lis virginal, et la sainte forêt
où, dans le chant des luths, Viviane apparaît
versant les philtres de sa lèvre fugitive !
Hélas ! Hélas ! Au fond de l’Erèbe épaissi,
j’entends râler mon coeur criblé comme une cible.
-viendra-t-on te briser, sortilège invincible ? -
hâte-toi, hâte-toi, bon Devin, car voici
que l’automne se met à secouer les roses,
et que les jours rieurs s’effacent au lointain,
et qu’il va s’éteignant le suave matin :
-et demain, c’est trop tard pour les métamorphoses !
Les bras qui se nouent en caresses pâmées,
le cordial bu du baiser animal,
les cheveux qu’on tord, les haleines humées,
des nerfs énervés apaisent-ils le mal ?
ô nos visions les toujours affamées !
ô les voeux sonnant ainsi qu’un faux métal !
En nos âmes, inéluctables Némées,
qui viendra terrasser le monstre fatal ?
Et puisqu’il faut que toutes coupes soient brèves,
puisqu’il faut en vain sur d’impossibles grèves
chercher le népenthès et le lotus d’or ;
ne vaudrait-il mieux le désir qu’on triture :
ne vaudrait-il mieux te voler ta pâture,
dégoût carnassier, ô funèbre condor !
Lorsque sous la rafale et dans la brume dense,
autour d’un frêle esquif sans voile et sans rameurs,
on a senti monter les flots pleins de rumeurs
et subi des ressacs l’étourdissante danse,
il fait bon sur le sable et le varech amer
s’endormir doucement au pied des roches creuses,
bercé par les chansons plaintives des macreuses,
à l’heure où le soleil se couche dans la mer.
Que l’on jette ces lis, ces roses éclatantes,
que l’on fasse cesser les flûtes et les chants
qui viennent raviver les luxures flottantes
à l’horizon vermeil de mes désirs couchants.
Oh ! Ne me soufflez plus le musc de votre haleine,
oh ! Ne me fixez pas de vos yeux fulgurants,
car je me sens brûler, ainsi qu’une phalène,
à l’azur étoilé de ces flambeaux errants.
Oh ! Ne me tente plus de ta caresse avide,
oh ! Ne me verse plus l’enivrante liqueur
qui coule de ta bouche-amphore jamais vide-
laisse dormir mon coeur, laisse mourir mon coeur.
Mon coeur repose, ainsi qu’en un cercueil d’érable,
dans la sérénité de sa conversion ;
avec les regrets vains d’un bonheur misérable,
ne trouble pas la paix de l’absolution.
Feux libertins flambant dans l’auberge fatale
où se vautre l’impénitence des dégoûts,
où mon âme a brûlé sa robe de vestale,
-eteignez-vous !
Par les malsaines nuits de crimes traversées,
hippogriffes du mal, femelles des hiboux,
qui prêtiez votre essor à mes lâches pensées,
-envolez-vous !
Salamandres-désirs, sorcières-convoitises
qui hurliez dans mon coeur avec des cris de loups
la persuasion de toutes les feintises,
-ah ! Taisez-vous !
J’ai trouvé jusqu’au fond des cavernes alpines
l’antique ennui niché,
et j’ai meurtri mon coeur pantelant, aux épines
de l’éternel péché.
ô sagesse clémente, ô déesse aux yeux calmes,
viens visiter mon sein,
que je m’endorme un peu dans la fraîcheur des palmes,
loin du désir malsain.
Mon coeur, mon coeur fut la lanterne
eclairant le lupanar terne ;
mon coeur, mon coeur, fut un rosier,
rosier poussé sur le fumier.
Mon coeur, mon coeur est le blanc cierge
brûlant sur un cercueil de vierge ;
mon coeur, mon coeur est sur l’étang
un chaste nénuphar flottant.
ô mer immense, mer aux rumeurs monotones,
tu berças doucement mes rêves printaniers ;
ô mer immense, mer perfide aux mariniers,
sois clémente aux douleurs sages de mes automnes.
Vague qui viens avec des murmures câlins
te coucher sur la dune où pousse l’herbe amère,
berce, berce mon coeur comme un enfant sa mère,
fais-le repu d’azur et d’effluves salins.
Loin des villes, je veux sur les falaises mornes
secouer la torpeur de mes obsessions,
-et mes pensers, pareils aux calmes alcyons,
monteront à travers l’immensité sans bornes.
La voix, songeuse voix de lèvres devinées,
éparse dans les sons aigus de l’instrument,
à travers les murs sourds filtre implacablement,
irritant des désirs et des langueurs fanées.
Alors, comme sous la baguette d’un sorcier,
dans mon esprit flottant la vision se calque :
blanche avec des cheveux plus noirs qu’un catafalque,
frêle avec des rondeurs plus lisses que l’acier.
dans le jade se meurt la branche de verveine.
les tapis sont profonds et le vitrail profond.
les coussins sont profonds et profond le plafond.
nul baiser attristant, nulle caresse vaine.
la voix, songeuse voix de lèvres devinées,
éparse dans les sons aigus de l’instrument,
à travers les murs sourds filtre implacablement,
irritant des désirs et des langueurs fanées.
être serein ainsi qu’un roc inaccessible,
sans souci de chercher l’oubli de ses pensées ;
l’âme close aux sanglots des lyres cadencées,
aux rêves hasardeux ne pas servir de cible.
Aux ors incandescents des trésors des Palmyres,
aux perles des Ophirs-aveugles ses prunelles ;
la vertèbre rétive aux visions charnelles
éparses dans l’odeur énervante des myrrhes.
Le temps pétrifié sur les feuillets du livre ;
le ciel du coeur uni comme un métal ; sans rides,
ô sensibilité, tes surfaces virides ;
l’aube pareille au crépuscule : ô ne pas vivre !
Sur l’arbre et la bête de somme,
sur le fauve altier, et sur l’homme
inutilement révolté,
monstre de pleurs et de sang ivre,
désir formidable de vivre,
tu fais peser ta volonté.
Pour vaincre l’austère non-être
tu dis aux succubes de naître,
et de ta main tu prodiguas
les joyaux aux prostituées,
et les couronnes polluées
autour du front des renégats.
III
Expert en les dialectiques,
tu parles et tu sophistiques
avec ta voix de clair métal :
et les tentations pullulent,
et les tentations ululent
dans l’ombre du ravin fatal.
Car tu sais pour damner notre âme
faire jaillir la pure-flamme
dans l’oeil des hiboux et des freux ;
tu connais les accoutumances
des devins, et les nigromances
et les hocuspocus affreux.
V
Sous la comète et sous la lune,
en tunique de pourpre brune,
très blanche avec des cheveux blonds,
près du lac où nagent les cygnes,
ta feinte candeur a des signes
qui parlent des sentiers oblongs.
à travers les chaudes haleines
des tabacs et des marjolaines,
de nos voeux tu guides l’essor
où, dans sa fière nonchalance,
la fleur-charnelle se balance
pareille au grand lis nimbé d’or.
VII
Mais ta promesse n’est que leurre !
Bientôt, bientôt sonnera l’heure
du chevalier au pied fourché,
et nous savons bien que tu caches
sous les velours et les panaches,
toute la hideur du péché.
Oh ! Qu’il vienne un autre messie
secouer l’antique inertie,
qu’il vienne en ses rédemptions
détruire l’oeuvre de la femme
et te faucher, désir infâme
des neuves générations.