Les vents sont accourus : leur troupe déchaînée
Déjà vers son déclin précipite l’année.
Déjà n’offrant par-tout qu’un aride coup-d’oeil,
L’automne se dépouille ; et la forêt en deuil,
Impuissante à garder un reste de verdure,
Sent mourir tous ses sucs liés par la froidure.
Le ciel même est changé. L’aurore au front vermeil
Se cache : elle s’endort d’un triste et long sommeil.
Le roi du jour enfin n’a plus d’avant-courrière,
Et sans être annoncé doit ouvrir sa carrière,
Il l’ouvre : mais hélas ! Ses feux tombent, perdus
Dans l’humide épaisseur des brouillards suspendus.
Touche-t-il au midi ? La reine des ténèbres
Soudain vole, l’atteint ; et de ses rets funèbres
Enveloppant les cieux dans leur vaste contour,
Sur quinze heures sans gloire y domine à son tour.
Au lieu de cette aimable et paisible rosée,
Dont la terre au printems brilloit fertilisée,
Le brouillard s’épaissit, et se glace en frimats ;
La pluie à longs torrens inonde nos climats ;
Tout nage : et cet aspect des plaines désolées,
Le fleuve avec fracas roulant dans les vallées,
Et noircissant ses eaux, et jusqu’au flanc des monts
S’élevant, prêt à rompre et ses bords et ses ponts,
Les bois sans ornement, les oiseaux sans ramage,
Tout d’un monde vieilli nous peint la sombre image ;
Tout de pensers de mort conspire à me nourrir.
Je lis autour de moi : ce qui naît doit mourir.
Mais j’y peux lire aussi : ce qui meurt doit renaître.
Héraut de cette loi, que tu nous fis connoître,
Ô vieillard de Samos ! Viens, parle, et dans mes vers
Que ta sagesse encor instruise l’univers.
Rien ne s’anéantit, non rien ; et la matière
Comme un fleuve éternel roule toujours entière.
Qui pourroit au grand-tout fournir des alimens,
Si les êtres, détruits jusqu’en leurs élémens,
Du néant chimérique étoient jamais la proie ?
Ce vêtement de feu que le soleil déploie,
Mars, Vénus et Phébé, Mercure et Jupiter
Errans avec Saturne aux plaines de l’éther,
Nos fleurs, nos grains nos fruits éclos au doux zéphyre,
Et ces rocs, dont les flancs sont veinés de porphyre,
Et ces vieilles forêts aux rameaux chevelus ;
Tout l’ouvrage des dieux enfin ne seroit plus,
Si de sa propre cendre il ne pouvoit renaître.
Je mourrai : cependant les germes de mon être
D’une éternelle mort ne seront point frappés ;
Non : de la tombe un jour mes esprits échappés,
Soutiens d’un autre corps, y nourriront la vie.
Vois-tu, lorsqu’à sa table un ami te convie,
Vois-tu de main en main passer rapidement
La fougère, où pétille un breuvage écumant ?
Eh bien ! De l’univers ce banquet est l’image :
Du flambeau de la vie on s’y prête l’usage.
Les prés et les forêts, les champs et les côteaux
À la jeune brebis livrent leurs végétaux ;
La brebis à nos corps fournit leur nourriture ;
D’un peuple dévorant nos corps sont la pâture ;
Et comme nous enfin ce peuple, qui périt,
À la terre rendu, de ses sucs la nourrit.
Aujourd’hui que les vents, à la bruyante haleine,
Ont d’un voile grisâtre enveloppé la plaine,
Et courbant, fracassant le front noirci des bois,
Vont laisser sans honneur le neuvième des mois,
Nos regards attristés contemplent ce ravage ;
Mélancoliquement, le long de ce rivage,
Nous foulons à regret ces feuillages séchés,
Par l’aquilon jaloux de leur tige arrachés.
Il changera pourtant ce tableau monotone,
Et le printems naîtra des débris de l’automne :
Oui, ces feuilles, n’aguère ornement des forêts,
Se transformant bien-tôt en fertiles engrais,
De leurs sucs immortels iront former encore
Le panache ondoyant, dont l’arbre se décore.
Oh ! Que sans peine alors, dans les bois renaissans,
Nous oublirons l’automne et ses jours languissans !
Ce n’est point toutefois que nos foyers agrestes
De leurs charmes perdus ne conservent les restes.
De la nuit des vapeurs dégageant l’horizon,
Un soleil d’or se lève ; et l’ardente saison
De l’automne flétri prend un moment la place.
Consolateur des champs, que menaçoit la glace,
Le règne fugitif de ce nouvel été
Ramène avec comus la folâtre gaîté.
Alors, riche des fruits qu’ont enfanté les plaines,
Et des trésors vineux dont ses tonnes sont pleines,
Libre tout-à-la-fois de labours et d’impôts,
L’agriculteur jouit. Voyez-le en son repos
Placer amis, voisins à sa table : la troupe,
Sans cesse remplissant et vuidant une coupe,
Rit, chante ; et de bons mots égayant le festin,
Chacun d’eux étonné voit blanchir le matin.
Mais ces derniers beaux jours vont encor disparoître,
Déjà même ils ont fui. Chaque instant voit s’accroître
La langueur du soleil, qu’à replis onduleux,
Embrasse tout entier un voile nébuleux.
L’automne touche enfin à son terme ; et la terre,
Inféconde à regret, se durcit, se resserre :
Aux germes créateurs les vents ferment son sein.
Et cependant, vers nous s’avancent par essaim
Les oiseaux voyageurs, qui nés sous l’oeil de l’ourse,
Loin d’elle tous les ans précipitent leur course
Prudemment déserteurs de leurs tristes climats,
Ils cherchent sur nos bords de moins rudes frimats.
Ils y remplaceront ce peuple d’hirondelles,
Qui, des jours printanniers les compagnes fidèles,
Près du Nil, du Gambra, du Tygre et de l’Indus,
Retrouvent les zéphyrs que nous avons perdus.
Ces oiseaux, il est vrai, plus fièrement sauvages
Que ceux, dont le printems égayoit nos rivages,
Ne feront point ouïr au silence des bois
Les soupirs cadencés d’une amoureuse voix.
Âpre comme l’hyver, qui les suit à la trace,
Leur chant n’est qu’un long cri sans douceur et sans grâce ;
Mais leur instinct, leurs moeurs, d’un sage studieux,
Peuvent du moins encor intéresser les yeux.
Si je porte mes pas à travers la campagne,
Je verrai du pluvier la coquette compagne
L’attirer près des lacs, s’enfuir sous les roseaux,
Puis razer comme un trait la surface des eaux,
S’arrêter, fuir encor ; et cette heureuse adresse,
De l’amant, qui l’oublie, éveiller la tendresse.
Je pourrai voir encor les cannes du lapland,
Qui sillonnant les airs en triangle volant,
Trente fois, chaque jour, changent de capitaine.
Fatigué des travaux d’une course lointaine,
Ce bataillon veut-il, dans sa marche arrêté,
Goûter un doux sommeil par la peine acheté ?
Aux rives d’un étang, la troupe fugitive
S’abbat ; et l’un d’entr’eux, sentinelle attentive,
Tandis que dans le camp tout repose endormi,
Les yeux sans cesse ouverts observe l’ennemi.
Croyez donc maintenant, sectateurs de Descartes
Vous, que la vérité de ses temples écartes,
Croyez qu’esclave-né d’un aveugle pouvoir,
L’animal ne sauroit ni sentir, ni prévoir !
Dites que de leur sang le cours involontaire
Des loix du mouvement rend leur corps tributaire :
La raison vous condamne ; elle parle, et détruit
Un systême jaloux, que l’orgueil a construit.
Je sais bien que Buffon daigne grossir le nombre
Des mortels, que Réné voit autour de son ombre ;
Qu’à ce maître fameux, qu’on délaisse aujourd’hui,
D’un style séducteur il a prêté l’appui :
Mais fidèle au respect que je dois au grand-homme,
Qui, de l’être incréé jusqu’au plus vil atôme
Promenant de son vol l’infatigable ardeur,
De l’univers entier sonda la profondeur,
J’ose, sans étaler une audace insensée,
À son autorité dérober ma pensée :
Trop de fois à l’erreur un grand-homme est soumis.
Au sein des animaux, oui, la nature a mis
Un esprit, qui dans eux fait mouvoir la matière,
L’éclaire, la conduit, l’anime toute entière.
C’est lui qui, dans ces jours, où l’oiseau tristement
Demande aux bois flétris quelque foible aliment,
Aux cités pousse en foule et la huppe azurée
Et la swelte mézange, à l’aîle diaprée,
Le brillant rouge-gorge y devance leurs pas :
Il vient, sans redouter les flèches du trépas,
Ni la captivité mille fois plus cruelle,
Nous rendre innocemment sa visite annuelle.
Imitez leur retour, ô vous, de qui les rois
Ont fait l’appui de l’homme opprimé dans ses droits ;
Allez, il en est tems : reprenez la balance,
Qui, jusques sous le daîs, fait pâlir l’insolence.
Mais, prêtres de Thémis, jurez à ses autels,
Qu’équitables et purs comme les immortels,
Vous n’égarerez point dans la nuit de l’intrigue
La vérité : qui marche étrangère à la brigue :
Jurez que sans oreille à la voix du puissant,
Vous lui refuserez le sang de l’innocent :
Jurez que la beauté, plus forte dans les larmes ;
Trouvera votre coeur armé contre ses charmes ;
Enfin que dans vos moeurs, ainsi qu’en vos arrêts,
Vous n’offrirez de vous que de nobles portraits.
Je ne veux confier ce sacré ministère
Qu’à l’homme vertueux, dont l’éloquence austère
N’adopte, pour tonner contre l’oppression :
Ni mot injurieux, ni lâche passion :
Qu’à l’inflexible honneur, il soit resté fidèle,
Et qu’enfin Dupaty lui serve de modèle.
Peut-être à ce seul mot, Dupaty, rougis-tu ?
Mais à notre amitié, bien moins qu’à ta vertu,
Je devois aujourd’hui ce solemnel hommage.
Ah ! Si ces foibles vers, qu’ennoblit ton image,
Peuvent franchir des ans l’espace illimité,
Et consacrer ma muse à l’immortalité ;
On saura que j’avois pour ami véritable
Un homme incorruptible, intrépide, équitable,
Qui, sensible aux malheurs par le peuple soufferts,
Sut braver, jeune encor, et l’exil et les fers.
Poursuis donc, Dupaty, ta course glorieuse ;
Et tandis qu’au sénat ta main victorieuse
Couvrira l’opprimé de l’égide des loix,
Moi, qu’un autre destin fit pour d’autres emplois,
Au nom des saintes moeurs dont l’intérêt m’enflamme,
J’ose, dispensateur de l’éloge et du blâme,
Faire entendre ma lyre à ces flots de guerriers,
Qui viennent aujourd’hui, le front ceint de lauriers,
Dans la paix, que l’hyver accorde à la patrie,
Attendre le retour de la saison fleurie.
Vertueux dans nos murs comme sous les drapeaux,
Les uns sauront encor illustrer leur repos.
Des enfans, une épouse aussi tendres qu’aimables,
Un père vieillissant, des amis estimables,
Aux lèvres du héros attachés, suspendus,
Demandent quels combats sa valeur a rendus ;
Il parle, et le récit d’une aussi belle histoire
Fait au plus jeune enfant envier la victoire.
Mais pour quelques guerriers toujours grands dans la paix,
Combien dont le repos avilit les hauts faits !
La foule par ses moeurs dégrade ses services,
Et traîne ses lauriers dans la fange des vices.
Je ne vous noircis point, je peins ce que je vois,
Fils de Mars ; trop long-tems d’une coupable voix
Les muses, à vos piés rampantes, avilies,
Ont flatté lâchement vos honteuses folies :
Le véritable honneur, que vous avez quitté,
Soulève contre vous la sévère équité.
Dites pourquoi trompant et la mère et la fille,
Vous abreuvez d’opprobre un vieux chef de famille :
Pourquoi d’un jeu sans borne affrontant les hazards,
On vous voit dans la nuit, échevelés, hagards,
De vos immenses biens ruiner l’édifice,
Et pour le réparer appeller l’artifice :
Pourquoi l’humble artisan chargé de vos mépris
Envain de son travail vous demande le prix ;
Et pourquoi, prodiguant un amour idolâtre
Aux beautés, dont le vice a paré le théâtre,
De ces viles Phrynés vous adoptez les moeurs ?
Eh quoi ! Vous répondez qu’aigri dans mes humeurs
J’insulte à vos ayeux, et qu’un sombre vertige
A dans les rejetons deshonoré la tige.
Ah ! Si des premiers noms vous êtes revêtus,
Montrez-vous donc aussi les premiers en vertus.
Rendez-nous les héros dont vous êtes la race :
Les champs, qui de leurs pas ont conservé la trace,
Et ces bois, vieux témoins de leurs nobles plaisirs,
S’apprêtent à charmer les jours de vos loisirs.
Allez de la fatigue y nourrir l’habitude,
Et que votre repos soit encore une étude :
Les bois furent toujours l’école des guerriers,
Et Diane à Bellone apprête les lauriers.
Voyez-vous le soleil vers le froid sagittaire ?
Il éclaire pour vous la forêt solitaire,
Et des jours de la chasse annonce le retour.
Le cor, pour éveiller les châteaux d’alentour,
Frappe et remplit les airs de bruyantes fanfares :
L’ardent coursier hennit, et vingt meutes barbares,
Près de porter la guerre au monarque des bois,
En rapide aboîment font éclater leur voix.
Ennemis affamés que les veneurs devancent,
Les chiens vers la forêt en tumulte s’avancent ;
Et bien-tôt sur leur pas l’impétueux coursier,
Tout fier d’un conducteur brillant d’or et d’acier,
Non loin de la retraite où l’ennemi repose
Arrive. L’assaillant en ordre se dispose :
Tous ces flots de chasseurs, prudemment partagés,
Se forment en deux corps sur les aîles rangés ;
Les chiens au milieu d’eux se placent en silence.
Tout se tait : le cor sonne ; on s’écrie, on s’élance,
Et soudain comme un trait meute, coursier, chasseur,
Du rempart des taillis ont franchi l’épaisseur.
Éveillé dans son fort, au bruit de la tempête,
La terreur dans les yeux le cerf dresse la tête,
Voit la troupe sur lui fondant comme un éclair ;
Il déserte son gîte ; il court, vole et fend l’air,
Et sa course déjà de l’aquilon rivale
Entre l’armée et lui laisse un vaste intervalle :
Mais les chiens plus ardens, vers la terre inclinés,
Dévorans les esprits de son corps émanés,
Demeurent sans repos attachés à sa trace ;
Ils courent. L’animal, ô nouvelle disgrace !
L’animal est surpris en un fort écarté.
Moins confiant alors en son agilité,
Par la feinte et la ruse il défend sa foiblesse ;
Sur lui-même trois fois il tourne avec souplesse,
Ou cherche un jeune cerf, de sa vieillesse ami,
Et l’expose en sa place à l’oeil de l’ennemi.
Mais la brûlante odeur des esprits qu’il envoie,
Conductrice des chiens les ramène à sa voie.
C’est alors qu’il bondit et veut franchir les airs ;
Sa trace est reconnue : enfin dans ces déserts,
Contre tant d’ennemis ne trouvant plus d’asyle,
Le roi de la forêt à jamais s’en exile.
Il ne reverra plus ce spacieux séjour,
Où vingt jeunes rivaux vaincus en un seul jour
Laissoient à ses plaisirs une vaste carrière :
Il franchit, n’osant plus regarder en arrière,
Il franchit les fossés, les palis et les ponts
Et les murs et les champs et les bois et les monts.
Tout fumant de sueur, près d’un fleuve il arrive,
Et la meute avec lui déjà touche à la rive.
Le premier dans les flots il s’élance à leurs yeux.
Avec des heurlemens les chiens plus furieux,
Trempés de leur écume, affamés de carnage,
Se plongent dans le fleuve, et l’ouvrent à la nage.
Cependant un nocher devance leur abord ;
Et tandis que sa nef les porte à l’autre bord,
L’infortuné, poussant une pénible haleine,
Et glacé par le froid de la liquide plaine,
Vogue, franchit le fleuve, et de l’onde sorti
Fuit encor, de chasseurs et de chiens investi.
Sa force enfin trompant son courage, il s’arrête ;
Il tombe : le cor sonne, et sa mort qui s’apprête
L’enflammant de fureur, l’animal aux abois
Se montre digne encor de l’empire des bois.
Il combat de la tête, il couvre de blessures
L’aboyant ennemi, dont il sent les morsures.
Mais il resiste en vain ; hélas ! Trop convaincu
Que foible, languissant, de fatigue vaincu,
Il ne peut inspirer que de vaines allarmes,
Pour fléchir son vainqueur il a recours aux larmes ;
Ses larmes ne sauroient adoucir son vainqueur.
Il détourne les yeux, se cache ; et le piqueur
Impitoyable, et sourd aux longs soupirs qu’il traîne,
Le perçant d’un poignard, ensanglante l’arène.
Il expire ; et les cors célèbrent son trépas.
À leur voix éclatante accourez à grands pas,
Vous, enfans des héros, vous, qui nés pour la gloire,
Devez de flots de sang acheter la victoire :
De vos cruels emplois venez prendre les moeurs.
Mais toi, fait pour dompter nos sauvages humeurs,
Beau sexe, à qui les cieux donnèrent en partage
La grâce, et la pitié ton plus doux avantage,
Va, fuis, éloigne toi : que jamais les forêts
Sous les habits de Mars ne m’offrent tes attraits ;
Sous les habits de Mars Vénus a moins de charmes.
Oui, belles ; l’appareil de nos sanglantes armes
Vous ravit et la grâce et cet air de candeur,
Qui dans votre oeil modeste anime la pudeur.
Ah ! D’un glaive jamais ne paroissez armées ;
Pour des combats plus doux l’amour vous a formées.
Il veut, pour nous charmer, qu’un simple vêtement
Sur vos corps délicats flotte négligemment ;
Qu’un luth, à votre gré, s’irrite ou s’attendrisse ;
Que la rose en bouton sous vos pinceaux fleurisse ;
Que vos doigts, conduisans l’aiguille de Pallas,
Unissent sur la toile Elmire à son Hylas ;
Que votre pié, fidèle aux loix de la cadence,
Suspende et tour-à-tour précipite la danse ;
Et que vos belles mains nourricières des fleurs,
L’hyver, sous vos lambris, cultivent leurs couleurs.
Il exige sur-tout qu’amantes enflammées,
Vous sentiez, vous goûtiez le plaisir d’être aimées ;
Qu’écartant loin de vous toute frivolité,
Vous ne voliez jamais à l’infidélité ;
Que l’aimable enjoûment respire sur vos traces ;
Que votre sein fécond reproduise vos grâces ;
Que la société vous doive ses douceurs
Et ses goûts délicats et ses paisibles moeurs ;
Que nous montrant l’hymen sous un dehors prospère,
Vous fassiez envier le bonheur d’être père.
Enfin, quand l’âge mûr changera vos desirs,
Que vos châteaux encor vous donnent des plaisirs ;
De vos fruits, de vos fleurs exprimez l’ambroisie ;
Qu’aujourd’hui du pommier la richesse choisie
Sous vos yeux vigilans se transforme en boisson.
Peut-être ici devrois-je, émule de Thomson,
Chanter ce jus piquant, nectar de la Neustrie :
Mais j’entends tout-à-coup, oui, j’entends ma patrie,
Qui me montrant de loin ses arbres toujours verds,
Réclame pour l’olive une place en mes vers.
Brillante occitanie, amoureuse contrée,
De tous les dons des cieux enrichie et parée,
Si je ne puis, hélas ! Jouir de tes présens,
Du moins le souvenir me les rendra présens.
Le soleil a paru. Le sud, par son haleine,
A fondu les frimats qui blanchissoient la plaine.
Quels essaims diligens, d’un bois flexible armés,
S’avancent, l’un par l’autre au travail animés,
Vers les champs couronnés de l’arbre de Minerve ?
Loin d’ici tout mortel que la mollesse énerve ;
Que le bâton bruyant frappe à coup redoublé,
Et qu’en tous ses rameaux l’arbre soit ébranlé :
L’arbre cède ses fruits. De leur grêle épaissie,
Je vois déjà la terre et couverte et noircie ;
Et lorsque tombe enfin l’ombre humide du soir,
Le fruit mûr, écrasé sous le criant pressoir,
Épanche de son sein la liqueur qu’il recèle,
Et sur la flamme ardente en baume pur ruisselle :
Fleuve d’or, qui bientôt appellant les bretons
S’en va par le commerce enrichir nos cantons.
Puisse, toujours couvert de sa pâle verdure,
L’arbre, auteur de ces biens, repousser la froidure !
Contre lui conjurés, ah ! Veuillent désormais
Ces jours trop malheureux ne revenir jamais,
Qui !... mais de ces revers taisons l’affreuse histoire ;
Au lieu de ses malheurs, je veux chanter sa gloire.
Athènes dans les airs levoit son front naissant.
Jaloux de la couvrir de leur bras tout-puissant,
Et sur mille cités d’élever sa fortune,
La savante Minerve et le fougueux Neptune
Se disputoient l’honneur de nommer ses remparts.
Neptune, l’oeil ardent et les cheveux épars,
Tonnoit, remplissoit l’air de clameurs odieuses.
De l’olympe à ses cris les portes radieuses
S’ouvrent, et laissent voir les dieux et Jupiter,
Qui d’un pas ont franchi tous les champs de l’éther :
L’immortelle assemblée est déjà dans Athènes.
Tandis que les tribus flottantes, incertaines,
En silence, du sort attendent les décrets :
« Le destin va parler, et voici ses arrêts,
Dit le maître des dieux. Le don le plus utile
Doit mériter l’honneur de nommer cette ville. »
« Il m’appartiendra donc ce droit si glorieux »,
Reprend le dieu des mers. Il dit, et furieux
De son large trident soudain frappant la terre,
Elle enfante un coursier, symbole de la guerre,
Un coursier, qui fougueux dresse ses crins mouvans,
Hennit, écume, vole et devance les vents.
« Déesse, dit Neptune ; eh bien ! Oses-tu croire
Que ton bras puisse encor m’enlever la victoire ? »
Et l’orgueil dédaigneux dans ses yeux éclatait.
La tranquille Pallas le regarde, se tait ;
Et frappant à son tour la terre de sa lance,
Gage heureux de la paix, un olivier s’élance,
Qui, de feuilles, de fleurs et de fruits couronné,
Mérite aux nouveaux murs le beau nom d’athéné.
Mortel ! La vérité sous sa fable est cachée :
La fable, à t’éclairer sagement attachée,
T’enseigne que les dieux préfèrent au guerrier
Les amis de la paix, et l’olive au laurier ;
Que l’honneur véritable est d’être utile aux hommes :
Cependant notre hommage, aveugles que nous sommes,
Cherchant l’ambitieux, nous courbe à ses genoux,
Et fuit l’homme des champs qui s’épuise pour nous.
Utile citoyen, ah ! Ma plus douce étude
Sera de te venger de notre ingratitude !
Tu le mérites bien, toi, qui dans mes loisirs
Me donnes de si vrais et de si doux plaisirs.
Eh ! Quel charme aujourd’hui que la froide soirée
Du règne du soleil abrège la durée,
Quel charme de s’unir à ces bons villageois,
Qu’un d’eux à la veillée appelle sous ses toîts !
C’est-là qu’au jour obscur d’une lampe enfumée,
Près d’un brasier nourri d’un faisceau de ramée,
Chacun s’assied : les jeux se mêlant aux travaux,
L’un d’une dent nouvelle arme ses vieux râteaux ;
L’autre arrondit le van, dont la sagesse antique
Fit d’un culte épuré le symbole mystique ;
Lycas taille sans art le sceptre des bergers ;
Nice, avec plus d’adresse, entre ses doigts légers
Roule l’ozier pliant, le façonne en corbeilles,
Ou l’élève en paniers pour ses jeunes abeilles.
Et cependant Baucis, en tournant son fuseau,
Raconte dans un coin l’histoire du hameau ;
Dit qu’elle a vu le blé regorger dans les granges,
Que l’automne donnoit de plus riches vendanges,
Que tout est bien changé, les hommes et les tems
Et que l’on n’aime plus comme dans son printems.
Lyse à ces derniers mots sourit, et sur Clitandre,
En lui serrant la main, jette un regard plus tendre :
Les autres, tour-à-tour occupés et distraits,
Demeurent sans oreille à tous ces longs regrets.
Mais sitôt que Baucis, d’un ton de voix plus sombre,
Commence à leur parler d’esprits errans dans l’ombre,
De fantômes, de morts, qui du fond des tombeaux
S’allongent dans les airs, traînant d’affreux lambeaux,
Agitent une torche, et de longs cris funèbres,
Et du bruit de leur fers remplissans les ténèbres,
Croisent le voyageur dans sa route perdu,
Le travail à l’instant demeure suspendu ;
Le folâtre tumulte expire, et l’auditoire
Frémit, presse les rangs, et de l’oeil suit l’histoire.
Vous riez de leur crainte, hommes de la cité !
Ah ! Gémissez plutôt de la simplicité,
Qui jusques à la mort prolongeant leur enfance,
Aux superstitions les livre sans défense :
De leur couche innocente approchez, et voyez
Quels tableaux, dans la nuit devant eux déployés,
Assiègent leur sommeil, oppressent leur haleine.
Quoi ! L’homme bienfaiteur, qui féconde la plaine
Dès le jour renaissant jusqu’au jour expiré,
Lorsque dans sa cabane humblement retiré,
Il espère jouir d’un repos salutaire ;
Quoi ! Cet homme, troublé dans sa paix solitaire,
N’entendra retentir que les cris déchirans
Des spectres infernaux et des manes errans !
Qu’il soit maudit cent fois l’apôtre sacrilège,
Qui des morts le premier blessant le privilège,
Au nom d’un dieu vengeur les tira des tombeaux,
Et les montra souillés de sang et de lambeaux.
Ou s’il vouloit du moins que sa noire imposture
Punît l’homme oppresseur, et vengeât la nature,
Que ne reservoit-il ce salutaire effroi
À ce tyran paré du nom sacré de roi,
Dont les avares mains et les loix homicides
Écrasent les sujets du fardeau des subsides ?
Oui, voilà le mortel que la voix de l’erreur
Doit, dans l’ombre des nuits, assiéger de terreur.
Qu’alors près de son lit un fantôme apparoisse,
Lui montre des enfers la flamme vengeresse,
Et que le déchirant de remords superflus,
Il lui crie, en fuyant : tu ne dormiras plus.