Les Larmes de sainct Pierre


LArmes qui teſmoignez de ſi griefues douleurs,
De ſi iuſtes regrets & des complaintes telles
Qu’il faut en vous voyant, larmes ſainctes & belles,
Remplir ſon cœur d’eſpoir, de merueille & de pleurs.
  Vous produiſez en l’ame vn beau printemps de fleurs,
Et tirant de noz yeux des ſources eternelles,
Vous ferez vne mer, ou noz flammes cruelles
Se verront ſubmerger auecque noz malheurs.
  Permets le moy Seigneur, & iuſqu’à l’heure extreme,
Que la mort me viendra ſeparer de moy-meſme,
Que ie viue en ces pleurs, & que ie meure en toy.

   Non ie ne diray point que de la ſource feinte
Du prophane Helicõ ces beaux vers ſoiẽt coulez :
Ils ſont auec les pleurs ſainctement diſtilez,
De celuy qui par eux renouuelle ſa plainte.


MEſlons nos triſtes yeux auec ces larmes ſainctes,
Apprenõs leur comment on pleure vn grãd peché
Imitons ce diſciple aux deuotes complaintes,
Non au ſubiet du mal dont il eſtoit touché.
  Soyons remplis de foy, d’amour & de conſtãce,
Ne craignons point la mort qui ſon ame eſtõnoit :
Ne meſcognoiſſons point celuy qui nous cognoit
Capables de raiſon comme de cognoiſſance.
  Liſons ces chauds regrets, ou nous pourrons cognoiſtre
Les mots qui volontiers ſont ouys dans les cieux
Ces vers doux & puiſſants, ces vers qui nous font naiſtre
Des ſouſpirs à la bouche, & des larmes aux yeux.
  Larmes filles du cœur, fontaine ſalutaire,
Ou l’ame de ſon mal guerit en ſe mirant,
Dont l’exẽple en vn coup nous va plus ſecourant,
Qu’vn deluge eternel de nos pleurs ne peut faire.
  Ces vers enflez d’honneur ont des forces nouuelles
A qui le marbre dur ne pourroit reſiſter,
Et peuuent en vn iour vaincre plus d’infidelles,
Qu’vn ſiecle d’ans ne peut par armes ſurmonter.
  Chaſtions nos deſirs auec ces belles armes,
De nos iniquitez ſoyons touſiours vainqueurs,
Dedions à ces vers nos ames & nos cœurs,
Et pour parler à Dieu, ſeruons nous de ces larmes.


CE n’eſt pas en mes vers qu’vne amante abuſee
Des appas enchanteurs d’vn pariure Theſee
Apres l’honneur rauy de ſa pudicité,
Laiſſee ingratement en vn bord ſolitaire,
Fait de tous les aſſaults que la rage peut faire
Vne fidelle preuue à l’infidélité.

   Les ondes que i’eſpans d’vne eternelle vaine,
Dans vn courage ſaint ont leur ſainte fontaine :
Ou l’amour de la terre, & le ſoin de la chair
Aux fragiles penſers ayant ouuert la porte,
Vne plus belle amour ſe rendit la plus forte,
Et le fit repentir außi toſt que pecher.

   Henry, de qui les yeux & l’image ſacree
Font vn viſage d’or à ceſt age ferree,
Ne refuſe à mes veux vn fauorable appuy :
Et ſi pour ton autel ce c’eſt choſe aſſez grande,
Penſe qu’il eſt ſi grand, qu’il n’auroit point d’offrãde,
S’il n’en receuoit point que d’egales à luy.

   La foy qui fut au cœur d’où ſortirent ces larmes,
Eſt le premier eſſay de tes premieres armes :
Pour qui tant d’ennemis à tes pieds abattus,
Palles ombres d’Enfer, poußieres de la terre,
Ont connu ta fortune, & que l’art de la guerre
A moins d’enſeignemens que tu n’as de vertus.

   De ſon nom de rocher, comme d’vn bon augure,
Vn eternel eſtat l’Egliſe ſe figure :
Et croit par le deſtin de tes iuſtes combas,
Que ta main releuant ſon eſpaule courbee,
Vn iour, qui n’eſt pas loin, elle verra tombee
La troupe qui l’aſſaut & la veut mettre bas.

   Mais le coq a chanté, pendant que ie m’arreſte
A l’ombre des lauriers qui t’embraſſent la teſte,
Et la ſource déſia commençant à s’ouurir
A laſché les ruiſſeaux, qui font bruire leur trace,
Entre tant de malheurs eſtimant vne grace,
Qu’vn Monarque ſi grand les regarde courir.

   Ce miracle d’amour, ce courage inuincible,
Qui n’eſperoit iamais vne choſe poßible
Que rien finiſt ſa foy que le meſme treſpas :
De vaillant fait couard, de fidelle fait traiſtre,
Aux portes de la peur abandonne ſon Maiſtre,
Et iure impudemment qu’il ne le cognoiſt pas.

   A peine la parolle auoit quitté ſa bouche,
Qu’vn regret außi prompt en ſon ame le touche,
Et meſurant ſa faute à la peine d’autruy,
Voulant faire beaucoup, il ne peut dauantage
Que ſoupirer tout bas, & ſe mettre au viſage
Sur le feu de ſa honte vne cendre d’ennuy.

   Les arcs qui de plus pres ſa poitrine ioignirent,
Les traits qui plus auant dans le ſein l’atteignirent,
Ce fut quand du Sauueur il ſe vit regardé.
Les yeux furent les arcs, les œillades les fleſches
Qui percerent ſon ame, & remplirent de breſches
Le rempart qu’il auoit ſi laſchement gardé.

   Ceſt aſſaut comparable à l’eclat d’vne foudre,
Pouſſe & iette d’vn coup ſes deffenſes en poudre,
Ne laiſſant rien chez luy, que le meſme penſer
D’vn homme qui tout nu de glaiue & de courage,
Voit de ſes ennemis la menace & la rage,
Qui le fer en la main le viennent offenſer.

   Ces beaux yeux ſouverains qui trauerſẽt la terre,
Mieux que les yeux mortels ne trauerſent le verre,
Et qui n’ont rien de clos à leur iuſte courroux :
Entrent victorieux en ſon ame eſtonnee,
Comme dans vne place au pillage donnee.
Et luy font receuoir plus de morts que de coups.

   La mer a dans le ſein moins de vagues courantes,
Qu’il n’a dans le cerueau de formes differantes,
Et n’a rien toutesfois qui le mette en repos :
Car aux flots de la peur ſa nauire qui tremble
Ne trouue point de port, & touſiours il luy ſemble
Que des yeux de ſon Maiſtre il entend ce propos.

   Et bien, ou maintenant eſt ce braue langage ?
Cette roche de foy ? ceſt acier de courage ?
Qu’eſt le feu de ton zele au beſoin deuenu ?
Où ſont tant de ſerments qui iuroient vne fable ?
Comme tu fus menteur, ſuis ie pas veritable ?
Et que t’ay ie promis qui ne ſoit auenu ?

   Toutes les cruautez de ces mains qui m’attachent,
Le meſpris effronté que ces bouches me crachent,
Les preuues que ie fay de leur impieté,
Pleines egallement de fureur & d’ordure,
Ne me ſont vne pointe aux entrailles ſi dure,
Comme le ſouuenir de ta deſloyauté.

   Ie ſcay bien qu’au danger les autres de ma ſuitte
Ont eu peur de la mort, & ſe ſont mis en fuitte :
Mais toy, que plus que tous i’aimay parfaitement,
Pour rendre en me niant ton offence plus grande,
Tu ſuis mes ennemis, t’aſſembles à leur bande,
Et des maux qu’ils me font prens ton esbattement.

   Le nombre eſt infiny des parolles empraintes,
Que regarde l’Apoſtre en ces lumieres ſaintes :
Et celuy ſeullement, que ſous vne beaute
Les feux d’vn œil humain ont rendu tributaire,
Iugera ſans mentir quel effet a peu faire
Des rayons immortels l’immortelle clairté.

   Il eſt bien aſſeuré que l’angoiſſe qu’il porte,
Ne s’empriſonne pas ſous les clefs d’vne porte,
Et que de tous coſtez elle ſuyura ſes pas :
Mais pource qu’il la voit dans les yeux de ſon maiſtre
Il ſe veut abſenter, eſperant que peut eſtre
Il la ſentira moins en ne la voyant pas.

   La place luy deplaiſt, ou la trouppe mauditte
Son Seigneur attaché par outrages depite :
Et craint tant de tomber en vn autre forfait,
Qu’il eſtime deſia ſes oreilles coupables,
D’entendre ce qui ſort de leurs bouches damnables,
Et ſes yeux d’aßiſter aux tourmens qu’on luy fait.

   Il part, & la douleur qui d’vn morne ſilence
Entre les ennemis couuroit ſa violence,
Comm’il ſe voit dehors à ſi peu de compas,
Qu’il demande tout haut, que le ſort fauorable
Lui face rencontrer vn amy ſecourable,
Qui touché de pitié luy donne le trépas.

   En ce piteux eſtat il n’a rien de fidelle,
Que ſa main qui le guide ou l’orage l’appelle,
Ses pieds comme ſes yeux ont perdu la vigueur :
Il a de tout conſeil ſon ame depourueue,
Et dit en ſoupirant que la nuit de ſa veue
Ne l’empeſche pas tant que la nuit de ſon cueur.

   Sa vie auparauant ſi cherement gardee,
Luy ſemble trop long temps icy bas retardee,
C’eſt elle qui le faſche, & le fait conſumer :
Il la nomme pariure, il la nomme cruelle,
Et, touſiours ſe plaignant que ſa faute vient d’elle,
Il n’en veut faire compte, & ne la peut aymer.

   Va, laiße moy, dit il, va deſloyale vie,
Si de te retenir autresfoys i’euz enuie,
Et ſi i’ay deſiré que tu fuſſes chez moy :
Puis que tu m’as eſté ſi mauuaiſe compaigne,
Ton infidelle foy maintenant ie deſdagne,
Quitte moy, ie te quitte, & ne veux plus de toy.

   Sont ce tes beaux deſſeins, mẽſongere & mechãte,
Qu’vne ſeconde fois ta malice m’enchante ?
Et que pour retarder d’vne heure ſeulement.
La nuit deſia prochaine à ta courte iournee,
Ie demeure en danger que l’ame, qui eſt nee
Pour ne mourir iamais, meure eternellement ?

   Non, ne m’abuſe plus d’vne laſche penſee,
Le coup encores frais de ma cheute paſſee
Me doit avoir apprins à me tenir debout,
Et ſçauoir diſcerner de la treue la guerre,
Des richeſſes du ciel les fanges de la terre,
Et d’vn bien qui s’en vole vn qui n’a point de bout.

   Si quelqu’vn d’auanture en delices abonde,
Il te perd außi toſt & deſloge du monde.
Qui te porte amitié, c’eſt à luy que tu nuys :
Ceux qui te veulẽt mal, ſont ceux que tu conſerues,
Tu vas à qui te fuit, & touſiours le reſerues
A ſouffrir, en vivant dauantage d’ennuis.

   On voit par ta rigueur tant de blondes ieuneſſes,
Tant de riches grãdeurs, tant d’heureuſes vieilleſſes,
En fuyant le trepas au trepas arriuer :
Et celuy qui chetif aux miſeres ſuccombe,
Sans vouloir autre bien, que le bien de la tombe,
N’ayant qu’vn iour à vivre, il ne peut l’acheuer.

   Que d’hommes fortunez en leur age premiere,
Trompez de l’inconſtance à nos ans coutumiere,
Du depuis ſe ſont veuz en eſtrange langueur ?
Qui fuſſent morts contents, ſi le ciel amiable
Ne les abuſant pas en ton ſein variable,
Au temps de leur repos euſt couppé ta longueur.

   Quiconque de plaiſir a ſon ame aßouuie,
Plein d’honneur & de bien, non ſuiet à l’enuie,
Sans iamais en ſon aiſe vn malaiſe eſprouuer,
S’il demande à ſes iours dauantage de terme,
Que fait il ignorant, qu’attendre de pié ferme
De voir à ſon beau temps vn orage arriver ?

   Et moy, ſi de mes iours l’importune duree
Ne m’euſt en vieillißant la ceruelle empiree,
Ne deuois-ie eſtre ſage, & me reſſouuenir
D’auoir veu la lumiere aux aueugles rendue,
Rebailler aux muets la parole perdue,
Et faire dans les corps les ames reuenir ?

   De ces faits non communs la merveille profonde,
Qui par la main d’vn ſeul eſtonnoit tout le monde,
Et tant d’autres encor me deuoient aduertir,
Que ſi pour leur autheur i’endurois de l’outrage,
Le meſme qui les fit, en faiſant dauantage,
Quand on m’offenceroit me pouuoit garantir,

   Mais troublé par les ans, i’ay ſouffert que la crainte
Loin encore du mal, ait deſcouuert ma feinte :
Et ſortant promptement de mon ſens & de moy,
Ne me ſuis apperceu qu’vn deſtin fauorable
M’offroit en ce danger vn ſuget honorable
D’acquerir par ma perte vn triomphe à ma foy.

   Que ie porte d’enuie à la trouppe innocente
De ceux qui maßacrez d’vne main violente
Virent des le matin leur beau iour accourcy !
Le fer qui les tua leur donna ceſte grace,
Que ſi de faire bien ils n’eurent pas l’eſpace,
Ils n’eurent pas le temps de faire mal außi.

   De ces ieunes guerriers la flotte vagabonde,
Alloit courre fortune aux orages du monde,
Et deſia pour voguer abandonnoit le bort,
Quand l’aguet d’vn pirate arreſta leur voyage :
Mais leur ſort fut ſi bon, que d’vn meſme naufrage
Ils ſe virent ſous l’onde, & ſe virent au port.

   Ce furent de beaux lis, qui mieux que la nature,
Meslans à leur blancheur l’incarnate peinture
Que tira de leur ſein le couteau criminel,
Devant que d’vn hyuer la tempeſte & l’orage,
A leur teint delicat peußent faire dommage,
S’en allerent fleurir au printemps eternel.

   Ces enfans bien-heureux (creatures parfettes,
Sans l’imperfection de leurs bouches muettes)
Ayans Dieu dans le cueur ne le peurent louer :
Mais leur ſang leur en fut vn teſmoin veritable,
Et moy pouuant parler, i’ay parlé miſerable
Pour luy faire vergongne, & le deſauouer.

   Le peu qu’ils ont veſcu leur fut grand auantage,
Et le trop que ie vy ne me fait que dommage,
Cruelle occaſion du ſoucy qui me nuit :
Quand i’auois de ma foy l’innocence premiere,
Si la nuit de la mort m’euſt priué de lumiere,
Ie n’aurois pas la peur d’vne immortelle nuit.

   Ce fut en ce troupeau, que venant à la guerre
Pour combattre l’Enfer & deffendre la terre,
Le Sauueur inconnu ſa grandeur abbaiſſa :
Par eux il commença la premiere meſlee,
Et furent eux außi, que la rage aueuglee
Du contraire party les premiers offença.

   Qui voudra ſe vanter, auec eux ſe compare,
D’auoir receu la mort par vn glaive barbare,
Et d’eſtre allé ſoymeſme au martyre s’offrir.
L’honneur leur appartient d’auoir ouuert la porte
A quiconque oſera d’vne ame belle & forte,
Pour viure dans le Ciel en la terre mourir.

   O deſirable fin de leurs peines paſſees !
Leurs pieds qui n’ont iamais les ordures preſſees,
Vn ſuperbe planché des étoilles ſe font :
Leur ſalaire payé les ſeruices precede,
Premier que d’auoir mal ils trouuent le remede,
Et deuant le combat ont les palmes au front.

   Que d’applaudißemens, de rumeur & de preße,
Que de feux, que de ieux, que de traits de careße,
Quand là haut en ce point on les veit arriuer ?
Et quel plaiſir encor’ à leur courage tendre
Voyant Dieu deuant eux en ſes bras les attendre,
Et pour leur faire honneur les Anges ſe leuer !

   Et vous femmes trois fois quatre fois biẽ heureuſes,
De ces ieunes Amours les meres amoureuſes,
Que faites vous pour eux, ſi vous les regrettez ?
Vous fachez leur repos, & vous rendez coupables,
Ou de n’eſtimer pas leurs trepas honorables,
Ou de porter enuie à leurs felicitez.

   Le ſoir fut auancé de leurs belles iournees :
Mais qu’euſſent ils gaigné par vn ſiecle d’annees ?
Ou que leur aduint -il en ce viſte depart,
Que laiſſer promptement vne baſſe demeure,
Qui n’a rien que du mal, pour auoir de bonne heure
Aux plaiſirs eternels vne eternelle part ?

   Si vos yeux penetrans iuſqu’aux choſes futures
Vous pouuoyent enſeigner leurs belles auentures,
Vous auriez tant de bien en ſi peu de mal’heurs :
Que vous ne voudriez pas pour l’empire du monde,
N’auoir eu dans le ſein la racine feconde
D’ou naſquit entre nous ce miracle de fleurs.

   Mais moi, puis que les loix me deffendent l’outrage,
Qu’entre tant de langueurs me commande la rage,
Et qu’il ne faut ſoymeſme eſteindre ſon flambeau :
Que m’eſt il demeuré pour conſeil & pour armes,
Que d’eſcouler ma vie en vn fleuue de larmes,
Et la chaßant de moy l’enuoyer au tombeau ?

   Je ſçay bien que ma langue aiant commis l’offence,
Mon cueur incontinent en à fait penitence,
Mais quoy ! ſi peu de cas ne me rend ſatisfait :
Mon regret eſt ſi grand, & ma faute ſi grande,
Qu’vne mer eternelle à mes yeux ie demande,
Pour pleurer à iamais le peché que i’ay fait.

   Pendant que le chetif en ce point ſe lamente,
S’arrache les cheueux, ſe bat & ſe tourmente,
En tant d’extremitez cruellement reduit,
Il chemine touſiours, mais reſuant à ſa peine,
Sans donner à ſes pas vne reigle certaine,
Il erre vagabond où le pié le conduit.

   A la fin eſgaré (car la nuit qui le trouble
Par les eaux de ſes pleurs ſon ombrage redouble)
Soit vn cas d’auenture, ou que Dieu l’ait permis :
Il arriue au iardin, ou la bouche du traiſtre
Profanant d’vn baiſer la bouche de ſon maiſtre
Pour en priuer les bons, aux meſchans la remis.

   Comm’vn homme dolent, que le glaiue contraire
A priué de ſon fils & du tiltre de pere,
Plaignant deça dela ſon malheur auenu :
S’il arrive en la place ou s’eſt fait le dommage,,
L’ennuy renouuelé plus rudement l’outrage,
En voyant le ſuget à ſes yeux reuenu.

   Le vieillart, qui n’attend vne telle rencontre,
Si toſt qu’au deſpourueu ſa fortune luy montre
Le lieu qui fut teſmoin d’vn ſi laſche meffait.
De nouuelles fureurs ſe deſchire & s’entame
Et de tous les penſers qui trauaillent ſon ame
L’extreme cruauté plus cruelle ſe fait.

   Toutefois il n’a rien qu’vne triſteſſe peinte,
Ses ennuys ſont des ieux, ſon angoiſſe vne feinte,
Son malheur vn bonheur, & ſes larmes vn ris :
Au prix de ce qu’il ſent, quand ſa veue abaiſſee,
Remarque les endroits, ou la terre preſſee,
A des pieds du Sauueur les veſtiges eſcris.

   C’eſt alors que ſes cris en tonnerres s’eſclattent,
Ses ſouſpirs ſe font vens, qui les cheſnes combattent,
Et ſes pleurs qui tantoſt deſcendoient mollement,
Reſſemble vn torrent, qui des hautes montagnes,
Ravageant, & noyant les voyſines campagnes,
Veut que tout l’vniuers ne ſoit qu’vn element.

   Il y fiche ſes yeux, il les baigne, il les baiſe,
Il ſe couche deſſus, & ſeroit à ſon aiſe,
S’il pouuoit auec eux à iamais s’attacher :
Il demeure muet du reſpect qu’il leur porte :
Mais enfin la douleur ſe rendant la plus forte
Luy fait encor vn coup vne plainte arracher.

   Pas adorez de moy, quand par accoutumance
Ie n’aurois comme i’ay de vous la cognoißance,
Tant de perfections vous deſcouurent aßez :
Vous auez vne odeur de parfums d’Aßyrie,
Les autres ne l’ont pas, & la terre fleſtrie
Eſt belle ſeulement ou vous eſtes paßez.

   Beaux pas de ces beaux piez que les aſtres cõnoißẽt,
Comme ores à mes yeux vos marques apparoißent,
Telle autrefois de vous la merueille me prit,
Quand, deſia demy-clos ſouz la vague profonde,
Vous ayant appelez, vous affermites l’onde,
Et m’aßeurant les pieds m’eſtonnaſtes l’eſprit.

   Mais, ô de tant de biens indigne recompenſe !
O deßus les ſablons inutile ſemence !
Vne peur ô Seigneur m’a ſeparé de toy :
Et d’vne ame ſemblable à la mienne pariure
Tous ceux qui furent tiens, s’ils ne t’ont fait iniure,
Ont laiſſé ta preſence, & t’ont manqué de foy.

   De douze, deux fois cinq eſtonnez de courage
Par vne laſche fuitte euiterent l’orage,
Et tournerent le dos quand tu fus aſſailly :
L’autre qui fut gaigné d’vne ſalle auarice,
Fit vn prix de ta vie à l’iniuſte ſupplice
Et l’autre en te niant plus que tous a failly.

   C’eſt choſe à mon eſprit impoßible à comprendre,
Et nul autre que toy ne me la peut apprendre,
Comme à peu ta bonté nos outrages ſouffrir,
Et qu’attend plus de nous ta longue patience,
Sinon qu’a l’homme ingrat, la ſeule conſcience
Doiue eſtre le couteau qui le face mourir ?

   Toutesfois tu ſcais tout, tu connois qui nous ſõmes
Tu vois quelle inconſtance accompagne les hommes,
Faciles à flechir quand il faut endurer :
Si i’ay fait comme vn homme en faiſant vne offẽce,
Tu feras comme Dieu d’en laißer la vengeance,
Et m’oſter vn ſuget de me deſeſperer.

   Au moins ſi les regrets de ma faute auenue
M’ont de ton amitié quelque part retenue,
Pendant que ie me trouue au millieu de tes pas,
Deſireux de l’honneur d’vne ſi belle tombe,
Afin qu’en autre part ma deſpouille ne tombe,
Puis que ma fin eſt pres, ne la recule pas.

   En ces propos mourans ſes complaintes ſe meurent,
Mais viuantes ſans fain ſes angoißes demeurent,
Pour le faire en langueur à iamais conſumer :
Tandis la nuit s’en va, ſes chandelles s’eſteignent,
Et deſ-ia deuant luy les campagnes ſe peignent,
Du ſaffran que le iour apporte de la mer.

   L’Aurore d’vne main, en ſortant de ſes portes,
Tient vn vaze de fleurs, languiſſantes & mortes,
Elle verſe de l’autre vne cruche de pleurs,
Et d’vn voile tiſſu de vapeur & d’orage,
Couvrant ſes cheueux d’or deſcouvre en ſon viſage,
Tout ce qu’vn ame ſent de cruelles douleurs.

   Le ſoleil, qui deſdaigne vne telle carriere,
Puis qu’il faut qu’il deſloge, eſloigne ſa barriere,
Mais comme vn criminel qui chemine au treſpas,
Monſtrant que dans le cueur ce voyage le faſche
Il marche lentement, & deſire qu’on ſache,
Que ſi ce n’eſtoit force, il ne le feroit pas.

   Ses yeux par vn deſpit en ce monde regardent
Ses cheuaux tantoſt vont, & tantoſt ſe retardent,
Eux meſmes ignorans de la courſe qu’ils font,
Sa lumiere pallit, ſa couronne ſe cache :
Außi n’en veut il pas, cependant qu’on attache
A celuy qui l’a fait, des eſpines au front.

   Au point accouſtumé les oyſeaux qui ſommeillẽt,
Appreſtez à chanter dans les bois ſe reueillent :
Mais voyant ce matin des autres different,
Remplis d’eſtonnement ils ne daignent paroiſtre,
Et font à qui les voit ouvertement connoiſtre,
De leur peine ſecrete vn regret apparent.

   Le iour eſt deſia grand, & la honte plus claire,
De l’Apoſtre ennuyé l’aduertit de ſe taire,
Sa parole ſe laſſe, & le quitte au beſoin :
Il voit de tous coſtez qu’il n’eſt veu de perſonne
Toutesfois le remors que ſon ame luy donne,
Teſmoigne aſſez le mal qui n’a point de teſmoin.

   Außi l’homme qui porte vne ame belle & haute,
Quand ſeul en vne part il à fait vne faute,
S’il n’a de iugement ſon eſprit depourveu,
Il rougit de luy meſme, & combien qu’il ne ſente
Rien que le ciel preſent & la terre preſente,
Penſe qu’en ſe voyant tout le monde l’a veu.

Collection: 
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