Les Idées

Sur les villes d’orgueil vers leurs destins dardées,
Règnent, sans qu’on les voie,
Plus haut que la douleur et plus haut que la joie,
Vivifiantes, les idées.

Aux premiers temps de force et de ferveur sereines,
Dès que l’esprit fut devenu flambeau,
Elles se sont démêlées
Et envolées
Du beau dédale d’or des cervelles humaines,
Pour s’en venir briller et s’éployer, là-haut ;
Et depuis lors, elles s’imposent
À nos craintes, à nos espoirs et à nos gloses,

Hantant nos cœurs et nos esprits
Et regardant les êtres et les choses,
Comme si, sous leurs paupières décloses,
S’ouvraient les yeux de l’infini.

Elles vibrent ainsi dans l’immense matière
Formant autour du monde, une ronde de feux ;
Sans qu’aucune ne soit une clarté première.

Pourtant, à voir leur or perdurer dans les cieux,
L’homme qui les créa de sa propre lumière,
Ivre de leur splendeur, en fit un jour : les Dieux.

Même aujourd’hui leur flamme apparaît éternelle,
Mais ne se nourrit plus de force et de beauté
Que grâce au sang de la réalité

Toujours mobile et sans cesse nouvelle,
Que nous jetons vers elles.

Plus les penseurs d’un temps seront exacts et clairs,
Plus leur front sera fier et leur âme ravie
D’être les ouvriers exaltés de la vie,
Plus ils dirigeront vers eux-mêmes l’éclair
Qui rallume, soudain, d’un feu nouveau, les têtes,
Plus leurs pas sonneront, au chemin des conquêtes,
Plus ils s’admireront entre eux, étant vraiment
Ce qui vit de plus haut, sous le vieux firmament,
Plus s’épanouiront, larges et fécondées
Aux horizons, là-haut, les suprêmes idées.

Collection: 
1907

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