Les Fleurs boréales/À un peintre

 
Quand l’aigle est fatigué de planer dans la nue,
Retraversant l’espace en son vol triomphant,
Il revient se poser sur la montagne nue,
Qui tressaille d’orgueil en voyant son enfant !

Peintre, tu nous reviens, ainsi que l’aigle immense
Qui, faisant trève un jour à son sublime essor,
Avant que dans les cieux sa course recommence,
Se repose un instant pour disparaître encor.

Arrivé tout à coup des sphères immortelles,
Ou sans craindre leurs feux tes pieds se sont posés,
Tu resplendis encore, et l’on voit sur tes ailes
La poudre des soleils que ton vol a rasés.

Un jour, jeune inconnu, sentant dans ta poitrine
Couver du feu sacré l’étincelle divine
Et ton destin se révéler,
Tu dis : Quittons ces lieux aux muses trop acerbes !
A moi le large espace ! à moi les monts superbes !
Je suis aigle, je puis voler !

Et tu partis. Longtemps la foule indifférente
Ne daigna du regard suivre ta course errante,
Comme un oiseau perdu dans l’air,
Nos rives t oubliaient, lorsque la renommée
A ta patrie, encor si tendrement aimée,
Jeta ton nom dans un éclair.

Enfin, tout enrichi des trésors du vieux monde,
Où la gloire, enchaînant ta palette féconde,
T’avait trop longtemps retenu,
Tu reviens visiter, après seize ans d’absence,
Le vieux foyer béni qui t’a donné naissance ;
O peintre, sois le bienvenu !

Mais, confiant dans ton étoile,
O noble fiancé des arts,
Demain tu remets à la voile
Pour le vieux pays des Césars !

Tu retournes au champ fertile,
Où croît le laurier de Virgile,
Où dort le luth d’Alighieri.
Florence, la ville artistique,
Réclame ton pinceau magique
Et ton talent qu’elle a mûri.

Va ! quitte nos climats de neige !
Pour toi trop sombre est notre ciel ;
Il te faut le ciel du Corrège,
Le ciel d’azur de Raphaël ;
Il te faut la douce Ausonie,
Ses horizons pleins d’harmonie,
Ses chants, ses échos, ses zéphyrs ;
Il te faut ses blondes campagnes,
Ses bois, ses fleuves, ses montagnes,
Ses chefs-d’œuvre, ses souvenirs !

Va ! poursuis ta noble carrière !
Jusqu’au sommet porte tes pas !
Tu ne peux rester en arrière :
Ta gloire ne t’appartient pas !

Ouvrant l’essor à ton génie,
Va cueillir la palme bénie
Qui doit un jour ceindre ton front,
Pars ! et nos rives étonnées,
En contemplant tes destinées,
Avec orgueil te nommeront !

Collection: 
1879

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