Les deux Poètes

 
Eh bien ! jeunes rivaux, que la lutte commence ;
Oui, chantez tour à tour.
VIRGILE, Églog., trad. de Firmin Didot.

La pièce suivante fait allusion aux Epîtres que se sont
adressées MM. de Lamartine et Casimir Delavigne.

J’aime à voir dans ces chants, nobles fils du génie,
Qu’enfantait immortels l’aveugle d’Ionie,
L’impétueux Ajax ceindre le fer d’Hector
Et parer le Troyen de son baudrier d’or ;
J’aime, après ces héros de l’antique épopée,
A voir nos paladins échanger leur épée,
Puis, vers des camps rivaux poursuivant leur chemin,
Se séparer amis et se presser la main ;
J’aime, aux jeux des pasteurs, la flûte du Ménale
Applaudissant les airs d’une flûte rivale ;
J’aime des luths unis l’harmonieux essor,
J’aime des sons divers le merveilleux accord ;
Mais surtout j’aime à voir, animés d’espérance,
Ces jeunes passagers, fils chéris de la France,
Qui d’un soin maternel protégeait leur départ,
Se saluer de loin du geste et du regard ;
J’aime à les voir tous deux des poétiques rives
Livrer aux flots changeans leurs barques fugitives,
Et, d’un jaloux dépit l’un et l’autre vainqueur,
S’encourager de l’œil, de la voix et du cœur.
L’un, pensif et les yeux levés vers les étoiles,
Au souffle du Très-Haut abandonnait ses voiles,
Et sans presque y songer entraîné vers le port,
Il semblait dédaigneux des hommes et du sort.
Il chantait cependant, et sa harpe sacrée,

  • Qu’ombrageait mollement la palme consacrée,

Exhalait des accords ravissans, inconnus,
Mais que les cœurs souffrans ont soudain retenus ;
Ou, rivale parfois des harpes de Solime,
Le son qu’elle produit, majestueux, sublime,
Semble un soupir de l’orgue en nos temples pieux.
Poétique chanteur, peintre mélodieux,
De sa voix, qu’animait une secrète flamme,
Chaque note long-temps retentissait dans l’âme,
Et tandis qu’attirés à des accens si doux,
Les cygnes l’entouraient d’un cortège jaloux,
Lui, souriait de voir leur troupe curieuse
Suivre d’un vain effort sa trace harmonieuse.

L’autre, un pied sur la proue et le front couronné,
Semble avoir recueilli, possesseur fortuné,
La triple lyre d’or que d’une main habile
Un Grec fixa jadis sur le trépied mobile,
Et des modes divers enchaînés sous ses doigts,
A la foule charmée il impose les lois.
Il chante : à cette voix toutes les voix répondent,
Il forme un noble vœu, tous nos vœux s’y confondent,
Il redit ces doux noms : Patrie et Liberté !
Des battemens du sien nos cœurs ont palpité !
Ces mots font tressaillir sur la rive lointaine
Les échos endormis de Sparte et de Messène,
L’air s’émeut, et le flot par le flot emporté
Semble redire au loin : Patrie et liberté !
Harmonieux rivaux, couple cher à la gloire !
Le sort qui vous promit une longue mémoire
Aime à vous voir tous deux, confians passagers,
La tenter à la fois sur vos esquifs légers.
Puissent ce vent propice et cette mer tranquille,
A vos voiles fidèle, à vos rames docile,
Ne vous point menacer de leurs jeux inconstans,
Et vous laisser au port surgir en même temps !
Tels furent mes souhaits quand, debout sur la rive,
Je les vis s’éloigner, satisfaite et pensive ;
Leurs nacelles fuyaient d’un égal mouvement,
Et Fonde tour à tour les berçait mollement.
Les chants se répondaient, à leur douceur pareille
Mon âme était émue, et je prêtai l’oreille
Tant que l’air m’apporta le plus léger accord !
Je n’entendais plus rien, je voulais voir encor ;
Mon œil franchit des flots la mobile étendue,
Mais l’horizon déjà les cachait a ma vue !...

Collection: 
1818

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