Les Captives

 
Les plus braves sont morts, pleins d’orgueil et de haine ;
D’autres ont fui. La horde innombrable n’est plus ;
Les cadavres des chefs blêmissent dans la plaine.

Pressant contre leur sein les boucliers poilus,
Les Barbares du Nord, Galates, Tectosages,
Sont tombés. Le sang noir teint les fronts chevelus.

La hache fut sans force à tailler des passages
Dans le vivant et lourd rempart des éléphants ;
Et des Dieux ignorés ont déçu les présages.

Et voici qu’au milieu de ses chars triomphants
Le Prince asiatique, Attalos de Pergame,
Pousse un troupeau rétif de vierges et d’enfants.

Les épouses au cœur viril, dont la grande âme
Excitait les guerriers dans les anciens combats,
Les bras liés au dos, suivent l’eunuque infâme.

Sombres, l’œil fixe et dur, foulant d’un noble pas
Les bords du Kaïkos aux transparentes ondes,
Elles vont fièrement et se parlant tout bas.

La Ville est déjà proche et, du haut des tours rondes,
Par les blancs escaliers, le peuple, ivre d’espoir,
Se rue en frémissant vers les captives blondes.

Mais elles, sous l’insulte ou le fouet, sans rien voir,
Ni le bleu firmament ni la douce lumière,
Songent que l’ombre est vaste et le ciel toujours noir.

Ayant nourri l’angoisse atroce et coutumière
Et du rêve funèbre éternisant l’effroi,
Elles ouvrent leur âme à ta splendeur première,

O mémoire des jours ressuscités en toi !
Quand, élu parmi tous chef des tribus Galates,
L’époux, robuste et cher, était beau comme un roi.

Le voici désertant la hutte aux murs de lattes
Et de terre battue où sa main a cloué
Des têtes d’hommes et des mufles écarlates.

Aux Dieux de la Victoire ou de la Mort voué,
Il va. L’épieu, durci dans un brasier rapide,
Par un lien de cuivre est à son poing noué.

Ses cheveux flamboyants que teint la chaux liquide,
Sous le casque alourdi par deux cornes d’aurochs,
Ruissellent en flots d’or sur son dos intrépide.

Et le héros armé, « ans peur, du haut des rocs,
Bondissait librement sur les races esclaves,
Avilissant le fer en en forgeant des socs.

Qu’il était "beau, l’époux, brave parmi les braves,
Lorsque, la hache au poing et pareil aux aïeux,
De ses chevaux guerriers il rompait les entraves ;

Et lorsque dominant les combats furieux,
Haut et droit comme un chêne au milieu des broussailles,
Il craignait seulement l’effondrement des cieux !

O soirs où, revenu saignant par dix entailles,
Le mâle, jamais las, dédaigneux du repos,
Dans une ivresse ardente oubliait les batailles/

Et repoussant du pied l’airain vide dès pots
Où ne fermentaient plus l’hydromel et la bière,
S’étendait haletant sur la couche de peaux !

Nuits sombres, nuits d’amour, dont la femme était fière
Comme d’un grand combat où nul n’avait vaincu,
Quand l’aube, au fond des bois, montait sûr la clairière !

Ainsi le souvenir du libre temps, vécu
Sous la tente nomade, entre au cœur des captives,
Comme en un sein percé tremble un poignard aigu.

Ce soir, les enchaînant dans des chambres furtives,
Les vainqueurs méprisés, ceints de lierre et de fleurs,
Outrageront leur deuil par des amours chétives.

Et des maîtres nouveaux, lâchés, traîtres, voleurs,
Courberont pour jamais, dans la prison des villes,
Celles dont les yeux bleus n’ont point connu les pleurs.

Et pâles de l’effroi des voluptés serviles,
Les femmes, à l’instant suprême, ont vu surgir
La vision des rocs, des forêts et des îles.

Elles ont entendu le vent croître et "mugir
Dans les arbres sacrés, quand le Druide antique
Secouait le flambeau sur le plus haut men-hir.

Sous la lune d’argent’, l’enceinte granitique
Semblait un champ neigeux où des géants dressés
Prolongeaient en silence un conseil fantastique.

Et les mornes captifs, par mille bras poussés,
Le col roide et tendu vers les cuves prochaines,
Abreuvaient d’un sang frais les Dieux inapaisés.

Silence ! L’ouragan divin que tu déchaînes,
O Krom terrible ! émeut les profondes forêts ;
L’avenir prophétique a rugi dans les chênes.

Les tribus sont debout et les guerriers sont prêts ;
Les bardes inspirés chantent, mêlés aux prêtres,
Le courage et la gloire et les destins secrets.

Et les peuples Kymris, innombrables, sans maîtres,
Sans peur et sans relâche, ont suivi les premiers,
Par l'immense univers, le chemin des Ancêtres.

Comme l’aigle dont l’aile ombrageait leurs cimiers,
Ils ont volé, semant leur fortune et leur race
Des régions du chêne aux pays des palmiers.

Des bords Kymmériens aux monts rocheux de Thrace,
Des mers du noir Ponant aux rives du soleil,
La terre fut promise à leur fureur vorace.

Préparant aux cités un funèbre réveil,
Dans un linceul subit de pourpre et d’incendie,
Ils éclairaient leur route à son reflet vermeil.

Et vers d’autres butins, prompte et comme enhardie,
La horde ne laissait pour les derniers venus
Qu’un désert éternel de cendre refroidie.

Pleurez ! Pleurez les jours que vous avez connus,
Femmes ! Les plaques d’or et les parures neuves
N’orneront plus l’orgueil de vos larges seins nus.

Tranchez vos blonds cheveux, comme il sied à des veuves,
Épouses des Héros qu’un fils n’a point vengés !
L’ombre errante des morts clame dans les épreuves. —

Telles, armant leurs cœurs, du souvenir rongés,
Sans larmes, le front haut, les Galates entre elles
Évoquaient vos esprits, ô guerriers égorgés !

Un suprême dédain assombrit leurs prunelles ;
Et nul n’insultera d’un geste ou d’un regard
Leur fierté prisonnière au lit des vainqueurs frêles.

Le long du Kaïkos elles vont. A l’écart,
L’eunuque, embarrassé dans sa robe de soie,
D’un œil trouble et pesant suit le troupeau hagard.

Mais soudain s’élançant avec un cri de joie,
Les captives ensemble ont franchi d’un seul bond
Le bord du Kaïkos qui s’entr’ouvre et tournoie.

Le cours inviolé du fleuve vagabond
Roule leurs corps unis vers la mer sans souillures,
Et leur beauté repose en un tombeau profond.

Le flot baisera seul les vierges chevelures
Et seul de longs varechs enchaînera les mains
Des compagnes des Forts, mortes libres et pures.

Car, méprisant la vie et les effrois humains,
Elles ont au serment fait l’holocauste unique
Et livré leur dépouille à la foi des hymens.

Et la Gloire est fidèle au trépas héroïque.

Collection: 
1873

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