Le jour où j’ai quitté le sol de mes aïeux,
La verdoyante Érin et ses belles collines,
Ah ! Pour moi ce jour-là fut un jour malheureux.
Là, les vents embaumés inondent les poitrines ;
Tout est si beau, si doux, les sentiers, les ruisseaux,
Les eaux que les rochers distillent aux prairies,
Et la rosée en perle attachée aux rameaux !
Ô terre de mon cœur, ô collines chéries !
Et pourtant, pauvres gens, pêle-mêle et nus pieds,
Sur le pont des vaisseaux près de mettre à la voile,
Hommes, femmes, enfants, nous allons par milliers
Chercher aux cieux lointains une meilleure étoile.
La famine nous ronge au milieu de nos champs,
Et pour nous les cités regorgent de misère ;
Nos corps nus et glacés n’ont pour tous vêtements
Que les haillons troués de la riche Angleterre.
Pourquoi d’autres que nous mangent-ils les moissons
Que nos bras en sueur semèrent dans nos plaines ?
Pourquoi d’autres ont-ils pour habits les toisons
Dont nos lacs ont lavé les magnifiques laines ?
Pourquoi ne pouvons-nous rester au même coin,
Et, tous enfants, puiser à la même mamelle ?
Pourquoi les moins heureux s’en vont-ils le plus loin ?
Et pourquoi quittons-nous la terre maternelle ?
Ah ! Depuis bien longtemps tel est le vent fatal
Qui loin des champs aimés nous incline la tête,
Le destin ennemi qui fait du nid natal
De notre belle terre un pays de tempête,
Le mépris et la haine… ô ma patrie, hélas !
Pèserait-on si fort sur tes plages fécondes
Que ton beau sol un jour s’affaisserait bien bas,
Et que la verte Érin s’en irait sous les ondes !
Mais heureux les troupeaux qui paissent vagabonds
Les pâtures de trèfle en nos fraîches vallées ;
Heureux les chers oiseaux qui chantent leurs chansons
Dans les bois frissonnants où passent leurs volées.
Oh ! Les vents sont bien doux dans nos prés murmurants,
Et les meules de foin ont des odeurs divines ;
L’oseille et les cressons garnissent les courants
De tous vos clairs ruisseaux, ô mes belles collines !