« Tu nous rends nos derniers signaux ;
Le long du bord le câble crie ;
Lâancre sâélève et sort des eaux ;
La voile sâouvre ; adieu, patrie !
« Des flots lâun par lâautre heurtés
Je vois fuir les cimes mouvantes,
Comme les flocons argentés
Des toisons sur nos monts errantes.
« Je vois se dérouler les nÅuds
Qui mesurent lâhumide plaine,
Et je vogue, averti par eux
Que loin de toi le vent mâentraîne.
« Doux pays, bois sacrés, beaux lieux,
Je pars, et pour toujours peut-être ! »
Disait un grec dans ses adieux
à Cypre qui lâavait vu naître ;
« Sur vos rives la liberté,
Ainsi que la gloire, est proscrite ;
Je pars, je les suis, et je quitte
Le beau ciel quâelles ont quitté. »
Il chercha la liberté sainte
DâAgrigente aux vallons dâEnna ;
Sa flamme antique y semble éteinte,
Comme les flammes de lâEtna.
A Naple, il trouva son idole
Qui tremblait un glaive à la main ;
Il vit Rome, et pas un Romain
Sur les débris du capitole !
O Venise, il vit tes guerriers ;
Mais ils ont perdu leur audace
Plus vite que tes gondoliers
Nâont oublié les vers du Tasse.
Il chercha sous le ciel du nord
Pour les Grecs un autre Alexandre...
Ah ! Dit-il, le Phénix est mort,
Et ne renaît plus de sa cendre !
A Vienne, il apprit dans les rangs
Des oppresseurs de lâAusonie
Que le succès change en tyrans
Les vainqueurs de la tyrannie.
Il trouva les Anglais trop fiers ;
Albion se dit magnanime ;
Des noirs elle a brisé les fers,
Et ce sont les blancs quâelle opprime ;
Il parcourt Londre, en y cherchant
Cet homme, lâeffroi de la terre,
Dont la splendeur à son couchant
Pour tombeau choisit lâAngleterre.
Mais elle a craint ce prisonnier,
Et, reculant devant sa gloire,
A mis lâocéan tout entier
Entre un seul homme et la victoire.
Sur toi, Cadix, il vient pleurer :
Nos soldats couvraient ton rivage ;
Il vient, maudissant leur courage ;
Il part, de peur de lâadmirer.
Paris lâappelle ; au seuil dâun temple
Le Grec, dans nos murs arrêté,
Sur lâautel voit la liberté...
Mais câest un marbre quâil contemple,
Semblable à ces dieux inconnus,
à ces images immortelles
Dont les formes sont encor belles,
Dont la divinité nâest plus.
Pour revoir son île chérie,
Il franchit les flots écumans ;
Mais le courroux des Musulmans
Avait passé sur sa patrie.
Des débris en couvraient les bords,
Et de leur cendre amoncelée
Les vautours, prenant leur volée,
Emportaient les lambeaux des morts.
Il dit, sâélançant dans lâabîme :
« Les peuples sont nés pour souffrir ;
Noir océan, prends ta victime,
Sâil faut être esclave ou mourir ! »
Ainsi lâalcyon, moins timide,
Part et se croit libre en quittant
La rive où sa mère lâattend
Dans le nid quâil a laissé vide.
Il voltige autour des palais,
Orgueil de la cité prochaine,
Et voit ses frères quâon enchaîne,
Se débattre dans des filets.
Il voit le rossignol, qui chante
Les amours et la liberté,
Puni par la captivité
Des doux sons de sa voix touchanté.
De lâOlympe il voit lâaigle altier
Briser, pour sortir dâesclavage,
Son front royal et prisonnier
Contre les barreaux de sa cage.
Vers sa mère il revient tremblant,
Et lâappelle en vain sur la rive,
Où flotte le duvet sanglant
De quelque plume fugitive.
Lâoiseau reconnait ces débris ;
Il suit le flot qui les emporte,
Rase lâonde en poussant des cris,
Plonge et meurt... Où sa mère est morte.