Le plafond du wagon crépite dans la nuit,
L’averse fait tinter sur les vitres mouillées
Sa chanson de novembre et d’automne, son bruit
De tristesse, et refait aux glaces ses brouillées.
C’est la petite gare inconnue, au trottoir
Qui miroite et reluit, dans l’ombre, de ses flaques,
À quoi bon se pencher hors de l’ennui pour voir
Les rails bleus et luisants se croiser sur les plaques.
Triste retour ! triste retour sombre et mouillé,
C’est la même amertume et le même silence,
Il pleut, le train dans l’ombre attend... on voit briller,
Là-bas, une lanterne rouge qu’on balance.
Le train est là, prêt à partir vers l’inconnu,
Le quai luit du reflet de ses vitres dorées,
Sur ses carreaux luisants où tout Novembre a plu
Se découpent parfois des ombres affairées.
Et puis, c’est le départ si lent, presque sans bruit,
Là-bas, vers l’aube grise et morne de l’automne,
Et le train qui repart, enfoui dans la nuit,
Reprend bientôt son rythme égal et monotone.
Alors, c’est l’inconnu formidable et béant,
Le vertige qui prend les arbres en démence,
Un sémaphore obscur, démesuré, géant
Qui brasse du mystère avec un geste immense.
Des leviers, apparus dans l’ombre, ont remué,
Les arbres dans la pluie ont des plaintes humaines
Et brusquement surgi comme un veilleur muet
C’est un disque portant sa lanterne et ses chaînes.
Le train tranche l’espace avec son coupe-vent,
Il va vers la tristesse et l’hiver, il s’élance,
Les pierres du remblai tressaillent ; émouvant,
On entend le sifflet qui fouille le silence.
Ecoute tout son cri d’angoisse et de désir,
D’affolement, d’orgueil, de conquête assouvie
Poussé vers ton bonheur et vers ion avenir,
Vers l’inconnu que tu dois vaincre, vers la vie.....
*
C’est la maison au clair de lune, le rosier ;
O mon père, j’entends, ce soir, de lieue en lieue,
Le bruit, que fait ta pipe en bois de merisier
Contre le cendrier de porcelaine bleue.
Ah ! c’est aussi le bruit des fuseaux dans les fils,
Mère, ton simple anneau s’allume sous la lampe,
Et je songe : « Combien sont-ils, combien sont-ils ? »
Devant tes cheveux blancs qui luisent vers la tempe.
Vous dites : « Il sera dans une heure à Paris. »
Je vois vos pauvres mains qui tremblent davantage,
Une larme est au bord de vos yeux si meurtris.
Pour la première fois, j’ai peur de ce voyage !
Il fait si bon, là-bas, dans vos robes, maman,
Tant de légendes d’or chantent dans la théière,
Le soir, sur nos berceaux, vous disiez doucement
« Papa, les p’tits bateaux » ou bien « Il pleut, bergère ! »
Pourquoi faut-il partir et vous laisser, devant
La lampe, quand l’hiver tourmente la glycine,
Quand gronde aux carreaux noirs la grosse voix du vent,
Seule, avec les héros muets du magasine.....
Pourquoi faut-il quitter son enfance et partir
Loin du calendrier, du râtelier de pipes,
De Jules Verne et de Perrault, du souvenir,
De l’album de peluche aux daguerréotypes……
Mon cœur, comme un bijou d’ex-voto, recela
Des prières d’enfant, des contes en image,
Hélas, hélas, pourquoi faut-il jeter cela,
Voici que je dois vivre et je suis sans courage !
Je vous effeuille au vent, souvenir, souvenir,
Comme un billet fané qu’on jette à la portière,
Voici qu’une aube triste et grise va venir,
O mon enfance, adieu, ne pleure pas, ma mère.
Ainsi je songe à vous, à la lampe, au dressoir,
Au jardin qui me hante encor de lieue en lieue
Et j’entends, refaisant leur bruit de remontoir,
Les grillons patients qui liment la nuit bleue.
Le bougainville ardent qui flambait s’est éteint,
Les boules du ficus tombent, l’air se balance,
La nuit miroite, et les grenouilles au lointain
De leurs gosiers rugueux rabotent le silence.
Je sais que le jardin s’exhale, qu’il.fait doux,
Que des souffles légers flottent comme des voiles
Et tandis que je songe à vous, autour de vous
Je sais que le silence égoutte les étoiles
*
O souvenir, je pense au seuil où tu m’attends,
Et qu’il faudra rouvrir les anciennes portes
Et que les carreaux verts où riait le printemps
Seront pleins du flamboiement d’or des feuilles mortes.
Sans elle, désormais pourrai-je vous revoir,
Hôtes si familiers au cadre des estampes,
Miroir où souriaient nos visages, miroir !
Et vous, corolles d’or lumineuses des lampes.
Seul, son tendre fantôme aura franchi le seuil,
Je songe à ses baisers, je songe à son sourire,
Elle venait s’asseoir au bras de mon fauteuil
Et je lisais les vers que je venais d’écrire.
Parfois lorsqu’elle avait vers son cou lumineux
Le geste rose et blond des doigts sous la frisette,
La gourmette sonnait avec des reflets bleus,
La lampe était au fond de ses yeux de noisette.
Douceur de l’abat-jour sur les lilas mouillés
Et sur la table à thé, dans l’ombre violette,
Du même éclat que ses beaux yeux émerveillés
Une épingle à chapeau luisait dans la voilette.
Parfois, elle mettait si je me reposais
Ses bras nus sur mon front qu’illuminait la lampe
Et ses lèvres sentaient en posant leurs baisers
Frémir le cœur d’oiseau qui battait sous ma tempe.
C’était auprès de moi quelque chose de bleu
D’où ruisselaient tous les parfums dont tu m’inondes
Et quand, ô grande fleur ; tu te penchais un peu
Tes mains sous l’abat-jour faisaient deux taches blondes.
Hélas ! porte joyeuse et miroirs étonnés,
Mon âme d’autrefois est partie avec elle,
Les muguets sont flétris, les lilas sont fanés,
Elle a serré ma joie au fond de sa dentelle.
Il faudra secouer les roses du rideau,
Les coussins du divan, le tapis, les portières,
Et si triste, écouter le bruit des gouttes d’eau
Accompagner le vent qui court sur les gouttières.
Allons ! voici qu’il pleut dans l’aube, lève-toi,
Derrière une fenêtre, une lampe jolie
S’allume, le brouillard recèle chaque toit,
Salut, ô ma tristesse, ô ma mélancolie !