Le Procès des deux renards

       Que je hais cet art de pédant,
       Cette logique captieuse,
Qui d’une chose claire en fait une douteuse,
D’un principe erroné tire subtilement
       Une conséquence trompeuse,
       Et raisonne en déraisonnant!
Les Grecs ont inventé cette belle manière :
Ils ont fait plus de mal qu’ils ne croyaient en faire.
Que Dieu leur donne paix! Il s’agit d’un renard,
Grand argumentateur, célèbre babillard,
       Et qui montrait la rhétorique.
       Il tenait école publique,
Avait des écoliers qui payaient en poulets.
Un d’eux, qu’on destinait à plaider au palais,
Devait payer son maître à la première cause
       Qu’il gagnerait : ainsi la chose
Avait été réglée et d’une et d’autre part.
Son cours étant fini, mon écolier renard
       Intente un procès à son maître,
Disant qu’il ne doit rien. Devant le léopard
      Tous les deux s’en vont comparaître.
      Monseigneur, disait l’écolier,
Si je gagne, c’est clair, je ne dois rien payer;
      Et cela par votre sentence,
           Puisque par la sentence
      J’aurai droit de ne pas payer.
Si je perds, nulle est sa créance;
      Car il convient que l’échéance
      N’en devait arriver qu’après
      Le gain de mon premier procès :
Or, ce procès perdu, je suis quitte, je pense :
      Mon dilemme est certain. Nenni,
      Répondait aussitôt le maître;
Si vous perdez, payez, la loi l’ordonne ainsi.
      Si vous gagnez, sans plus remettre,
      Payez, car vous avez signé
Promesse de payer au premier plaid gagné :
Vous y voilà. Je crois l’argument sans réponse.
Chacun attend alors que le juge prononce;
      Et l’auditoire s’étonnait
      Qu’il n’y jetât pas son bonnet.
Le léopard, rêveur, prit enfin la parole :
Hors de cour, leur dit-il : défense à l’écolier
      De continuer son métier;
     Au maître, de tenir école.

Collection: 
1775

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