Le Poète courtisan

Je ne veulx point icy du maistre d’Alexandre
Touchant l’art poëtiq’ les preceptes t’apprendre :
Tu n’apprendras de moy comment joüer il fault
Les miseres des Roys dessus un eschafault :
Je ne t’enseigne l’art de l’humble comoedie,
Ny du Mëonien la Muse plus hardie :
Bref je ne montre icy d’un vers Horatien
Les vices et vertuz du poëme ancien :
Je ne depeins aussi le Poëte du Vide,
La court est mon autheur, mon exemple et ma guide.
Je te veulx peindre icy, comme un bon artisan,
De toutes ses couleurs l’Apollon Courtisan :
Où la longueur sur tout il convient que je fuye,
Car de tout long ouvraige à la court on s’ennuye.
Celuy donc qui est né (car il se fault tenter
Premier que lon se vienne à la court presenter)
A ce gentil mestier, il faut que de jeunesse
Aux ruses et façons de la court il se dresse.
Ce precepte est commun : car qui veult s’avancer,
A la court, de bonne heure il convient commencer.
Je ne veulx que long temps à l’estude il pallisse,
Je ne veulx que resveur sur le livre il vieillisse,
Fueilletant studieux tous les soirs et matins
Les exemplaires Grecs et les autheurs Latins.
Ces exercices là font l’homme peu habile,
Le rendent catareux, maladif et debile,
Solitaire, facheux, taciturne et songeard,
Mais nostre courtisan est beaucoup plus gaillard.
Pour un vers allonger ses ongles il ne ronge,
Il ne frappe sa table, il ne resve, il ne songe,
Se brouillant le cerveau de pensements divers,
Pour tirer de sa teste un miserable vers,
Qui ne rapporte, ingrat, qu’une longue risée
Par tout où l’ignorance est plus authorisée.
Toy donc’ qui as choisi le chemin le plus court
Pour estre mis au ranc des sçavants de la court,
Sans macher le laurier, ny sans prendre la peine
De songer en Parnasse, et boire à la fontaine
Que le cheval volant de son pied fist saillir,
Faisant ce que je dy, tu ne pourras faillir.
Je veulx en premier lieu que sans suivre la trace
(Comme font quelques uns) d’un Pindare et Horace,
Et sans vouloir comme eux voler si haultement,
Ton simple naturel tu suives seulement.
Ce procés tant mené, et qui encore dure,
Lequel des deux vault mieulx, ou l’art, ou la Nature,
En matiere de vers, à la court est vuidé :
Car il suffit icy que tu soyes guidé
Par le seul naturel, sans art et sans doctrine,
Fors cet art qui apprend à faire bonne mine.
Car un petit sonnet qui n’ha rien que le son,
Un dixain à propos, ou bien une chanson,
Un rondeau bien troussé, avec’ une ballade
(Du temps qu’elle couroit) vault mieulx qu’une Iliade.
Laisse moy donques là ces Latins et Gregeoys,
Qui ne servent de rien au poëte François,
Et soit la seule court ton Virgile et Homere,
Puis qu’elle est (comme on dict) des bons esprits la mere.
La court te fournira d’arguments suffisants,
Et sera estimé entre les mieulx disants,
Non comme ces resveurs, qui rougissent de honte
Fors entre les sçavants, desquelz on ne fait compte.
Or si les grands seigneurs tu veulx gratifier,
Arguments à propoz il te fault espier :
Comme quelque victoire, ou quelque ville prise,
Quelque nopce ou festin, ou bien quelque entreprise
De masque ou de tournoy : avoir force desseings,
Desquelz à ceste fin tes coffres seront pleins.
Je veulx qu’aux grands seigneurs tu donnes des devises,
Je veulx que tes chansons en musique soient mises,
Et à fin que les grands parlent souvent de toy,
Je veulx que lon les chante en la chambre du Roy.
Un sonnet à propoz, un petit epigramme
En faveur d’un grand Prince, ou de quelque grand’Dame,
Ne sera pas mauvais : mais garde toy d’user
De mots durs ou nouveaulx, qui puissent amuser
Tant soit peu le lisant : car la doulceur du stile
Fait que l’indocte vers aux oreilles distille :
Et ne fault s’enquerir s’il est bien ou mal fait,
Car le vers plus coulant est le vers plus parfaict.
Quelque nouveau poëte à la court se presente :
Je veulx qu’à l’aborder finement on le tente.
Car s’il est ignorant, tu sçauras bien choisir
Lieu et temps à propoz, pour en donner plaisir.
Tu produiras par tout ceste beste, et, en somme,
Aux despens d’un tel sot, tu seras galland homme.
S’il est homme sçavant, il te fault dextrement
Le mener par le nez, le loüer sobrement,
Et d’un petit soubriz et branlement de teste.
Devant les grands seigneurs luy faire quelque feste :
Le presenter au Roy, et dire qu’il fait bien,
Et qu’il ha merité qu’on luy face du bien.
Ainsi tenant tousjours ce pauvre homme soubz bride,
Tu te feras valoir, en luy servant de guide :
Et combien que tu soys d’envie époinçonné,
Tu ne seras pour tel toutefois soubsonné.
Je te veulx enseigner un aultre poinct notable :
Pour ce que de la court l’eschole c’est la table,
Si tu veulx promptement en honneur parvenir,
C’est où plus saigement il te fault maintenir.
Il fault avoir tousjours le petit mot pour rire,
Il fault des lieux communs, qu’à tous propoz on tire,
Passer ce qu’on ne sçait, et se montrer sçavant
En ce que lon ha leu deux ou trois soirs devant.
Mais qui des grands seigneurs veult acquerir la grace,
Il ne fault que les vers seulement il embrasse :
Il fault d’aultres propoz son stile déguiser,
Et ne leur fault tousjours des lettres deviser.
Bref, pour estre en cest art des premiers de ton age
Si tu veulx finement joüer ton personnage,
Entre les Courtisans du sçavant tu feras,
Et entre les sçavants courtisan tu seras.
Pour ce te fault choisir matiere convenable,
Qui rende son autheur aux lecteurs agreable,
Et qui de leur plaisir t’apporte quelque fruict.
Encores pourras tu faire courir le bruit,
Que si tu n’en avois commandement du Prince,
Tu ne l’exposerois aux yeulx de ta province,
Ains te contenterois de le tenir secrét :
Car ce que tu en fais est à ton grand regrét.
Et à la verité, la ruse coustumiere,
Et la meilleure, c’est rien ne mettre en lumiere :
Ains jugeant librement des œuvres d’un chacun,
Ne se rendre subject au jugement d’aulcun,
De peur que quelque fol te rende la pareille,
S’il gaigne comme toy des grands Princes l’oreille.
Tel estoit de son temps le premier estimé,
Duquel si on eust leu quelque ouvraige imprimé,
Il eust renouvelé, peut estre, la risée
De la montaigne enceinte : et sa Muse prisée
Si hault au paravant, eust perdu (comme on dict)
La reputation qu’on luy donne à credit.
Retien donques ce point, et si tu m’en veulx croire,
Au jugement commun ne hasarde ta gloire.
Mais saige sois content du jugement de ceulx
Lesquelz trouvent tout bon, ausquelz plaire tu veux,
Qui peuvent t’avancer en estats et offices,
Qui te peuvent donner les riches benefices,
Non ce vent populaire, et ce frivole bruit
Qui de beaucoup de peine apporte peu de fruict.
Ce faisant, tu tiendras le lieu d’un Aristarque,
Et entre les sçavants seras comme un Monarque.
Tu seras bien venu entre les grands seigneurs,
Desquelz tu recevras les biens et les honneurs,
Et non la pauvreté, des Muses l’heritage,
Laquelle est à ceulx là reservée en partage,
Qui dédaignant la court, fácheux et malplaisans,
Pour allonger leur gloire ; accourcissent leurs ans.

Collection: 
1559

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