Le Parnasse contemporain/1876/Pendant la moisson

Les hommes sont aux champs et chaque maison vide,
Muette et close aux feux étouffés du soleil,
Sous le poids lourd d’un ciel à l’ardoise pareil,
S’endort dans la torpeur de son ombre livide.

Miroitement aigu dans ce calme de mort,
La tuile qui reluit a des éclairs farouches
Et sur le fumier vibre un tourbillon de mouches,
Sous les traits acérés du rayon qui le mord.

Jetant de faibles cris, la frêle musaraigne,
Dans les jardins, se meurt de soif au long du mur,
Car sur le sol partout incandescent et dur,
Spectre à l’œil dévorant, la sécheresse règne.

Le familier du lieu, l’immobile idiot
Sur sa borne est assis parmi les maigres poules ;
Morne, il écoute, aux champs plombés de chaudes houles,
Crier un invisible et lointain chariot.

Les chiens silencieux vont, viennent dans la rue ;
Une vache parfois pousse un long beuglement,
L’hirondelle fend l’air et décrit brusquement
Un méandre à la courbe aussitôt disparue.

Pas un arbre à l’entour, pas un feuillage vert.
Telle qu’une fournaise ardente et sans issue
Où le brun moissonneur, penché, halète et sue,
Dans un immense ennui la plaine au loin se perd.

Mais voilà, comme un bruit confus de ruche folle,
Qu’un fredon de jeunesse éveille l’écho sourd :
Dans la noire maison de brique au cœur du bourg,
Joyeusement murmure et bourdonne l’école.

Et ce bourdonnement, enfantine fraîcheur,
Mêle son charme à l’air que brûle un feu lugubre :
C’est comme un courant pur au désert insalubre,
Une source bénie où va boire le cœur.

Collection: 
1971

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