Le Parnasse contemporain/1876/L’Orage

Si je voulais chanter ma voix se briserait
Comme celle des fous dans le rire et les larmes,
Mon bras, tout las qu’il est, se crispe sur ses armes,
Ma lèvre resserrée a gardé son secret,
Si je voulais chanter ma voix se briserait.

Je sens encor le froid du fer dans ma blessure,
La pourpre de mon sang a teint les buissons verts.
Que dirais-je à l’écho qui demande des vers
Quand ma force est usée et ma défaite sûre ?
Je sens encor le froid du fer dans ma blessure.

Sans entrevoir de but, je vais par les chemins,
Telle qu’un grain de sable ou qu’une feuille morte.
Courant tous les hasards, fuyant de porte en porte,
Sans tenir rien des jours ni croire aux lendemains,
Sans entrevoir de but, je vais par les chemins.

Vainement quelques-uns ont pleuré sur ma trace,
Et d’autres m’appelaient dont l’amour fut témoin ;
J’ai passé dans le vent qui m’emportait plus loin,
La nuit seule a reçu l’aveu de mua disgrâce,
Vainement quelques-uns ont pleuré sur ma trace.

Mon berceau fut marqué par la fatalité.
L’orage qui grondait, terrible, à ma naissance,
M’a pour jamais, dès lors, soumise à sa puissance
Avec le premier cri qu’au monde j’ai jeté ;
Mon berceau fut marqué par la fatalité.

Solitude du cœur, ô ténèbres de l’âme,
Je devine à présent ce qu’il vous faut de moi ;
Mais j’échappe à votre œuvre et brave votre effroi,
Car je suis un enfant du souffle et de la flamme,
Solitude du cœur, ô ténèbres de l’âme.

Collection: 
1971

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