Le Parnasse contemporain/1876/Dans la forêt

Enseveli dans l’herbe verte
Sur la lisière d’un grand bois,
Je recueille, l’oreille ouverte,
Tous les chants et toutes les voix.

Tandis que dans un ciel d’opale
Le soleil rouge disparaît ;
Souvent je penche mon front pâle
Vers le sol noir de la forêt.

Et les yeux fixés sur la mousse,
Spectacle charmant et profond,
Je regarde l’herbe qui pousse
Ainsi qu’un abîme sans fond.

Sur le thym à la fleur rosée
Vit un monde au nôtre pareil,

Mais une goutte de rosée
Doit être pour eux le soleil.

Le bourdon, portant sur son aile
Les sept couleurs de l’arc-en-ciel,
Plonge un moment sa tête frêle
Dans un calice plein de miel ;

L’araignée, ardente et légère,
Devant sa toile fait le guet ;
Un ciron va d’une fougère
Sur une branche de muguet.

Des fourmis passent affairées,
Portant des fardeaux dans leurs mains,
Et vont en colonnes serrées
Ainsi que des soldats humains.

Ou du bout de sa tentacule
L’insecte au frêle corselet
Du cœur bleu d’une renoncule
Exprime une goutte de lait.

Je vois scintiller comme un rêve
Son élytre aux mille couleurs ;
Soudain il tombe et se relève
Au fond d’un abîme de fleurs ;

Mieux que dans les pages d’un livre
Sous les arbres de la forêt

La grande nature me livre
Quelques mots de son grand secret.

Chaque être que mon esprit nomme
Me montre la grandeur de Dieu
Et je comprends mieux en ce lieu
La vanité folle de l’homme.

Collection: 
1971

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