Le Parnasse contemporain/1869/Saturne

Un beau soir, par une lunette
Je contemplais les vastes cieux
Et voyais là chaque planète
Suivre son cours mystérieux,
La plus distante de la terre,
Saturne à l’imposante sphère,
Captivait surtout mes pensers,
Et sur sa rondeur lumineuse,
D’une façon presque fiévreuse,
Je tenais mes regards fixés.

Comme un roi dans les plaines brunes
De l’incommensurable éther,
L’astre, entouré de ses huit lunes
Et de son anneau de feu clair,
Répandait un éclat suprême,
Et les rais de son diadème
Lui donnaient tant de majesté
Que mon âme, toute ravie,
Sur ces brillants signes de vie
Bâtissait maint rêve enchanté.

Qui sait, là haut, ce qui se passe,
Disais-je en mon étonnement,

Et si cette île de l’espace
N’est pas un refuge charmant ?
Qui sait, là, si notre existence
Plus robuste ne recommence
Sur un meilleur terrain ses pas ?
Qui sait surtout, ô ma pauvre âme,
Si, transfuge d’un corps sans flamme,
Ton vol ne s’y tournera pas ?

Là, peut-être que l’on ne trouve
Qu’un ciel toujours plein de splendeur,
Un climat fixe où l’on n’éprouve
Ni trop de froid ni trop d’ardeur ;
Là, peut-être que la nature
Récompense toute culture
Par une ample fertilité
Qui ne demande point à l’homme
Des labeurs de bête de somme
Et des nuits d’âpre anxiété.

Là, peut-être bien que l’on s’aime
D’un unique & sincère amour
Qui résiste à l’âge lui-même
Et ne s’éteint qu’avec le jour.
Là, peut-être que la faiblesse,
Moins victime de la rudesse,
Se voit plus souvent secourir ;
Peut-être enfin qu’en la mêlée
Des vivants & dans leur foulée
On se fait beaucoup moins souffrir…

Ô Dieu ! si ce rêve que dore
Ma pensée est un fait réel,
Et si mon âme ailleurs encore
Doit prendre un vêtement charnel,
Conduis-la sur ce point extrême
De notre radieux système,
Et là, permets qu’en liberté
Elle puisse une fois connaître
Un peu de ton bonheur, grand Être,
La vie avec sérénité.

Collection: 
1971

More from Poet

Ô Corse à cheveux plats ! que ta France était belle
Au grand soleil de messidor !
C'était une cavale indomptable et rebelle,
Sans frein d'acier ni rênes d'or ;
Une jument sauvage à la croupe rustique,
Fumante encor du sang des rois,
Mais fière, et d'un pied...

" C'est moi ; - moi qui, du fond des siècles et des âges,
Fis blanchir le sourcil et la barbe des sages ;
La terre à peine ouverte au soleil souriant,
C'est moi qui, sous le froc des vieux rois d'Orient,
Avec la tête basse et la face pensive,
Du haut de la terrasse...

Il est, il est sur terre une infernale cuve,
On la nomme Paris ; c'est une large étuve,
Une fosse de pierre aux immenses contours
Qu'une eau jaune et terreuse enferme à triples tours
C'est un volcan fumeux et toujours en haleine
Qui remue à longs flots de la matière...

I

Oh ! lorsqu'un lourd soleil chauffait les grandes dalles
Des ponts et de nos quais déserts,
Que les cloches hurlaient, que la grêle des balles
Sifflait et pleuvait par les airs ;
Que dans Paris entier, comme la mer qui monte,
Le peuple soulevé grondait,...

 
« Westminster ! Westminster ! Sur cette terre vaine
Suis-je toujours en butte aux clameurs de la haine ?
Avant d’avoir subi le jugement de Dieu
Suis-je au regard des miens toujours digne du feu ?
Hélas ! Mes tristes os languissent dans mes terres,
Mon...