Le Pardon

 
Souvent l’amour se venge d’un volage,
Je ne le fus qu’un seul jour, et sa nuit ;
C’est encor trop : ... églé m’avoit séduit :
Elle étoit belle, et dans la fleur de l’âge.
D’entre ses bras échappé vers minuit,
Dans un moment où l’ombre de ses voiles
Enveloppoit jusqu’au feu des étoiles,
Je revenois sans escorte et sans bruit.
L’air qui s’agite, un rameau qui murmure,
Tout m’épouvante, et je crains tous les yeux :
On ne craint rien, alors que l’ame est pure ;
Et j’avois l’air, dans ma retraite obscure,
D’un criminel bien plus que d’un heureux.
Je me glissois... quand soudain, au passage,
Par des enfans je me sens arrêter ;
Dans ma frayeur je ne pus les compter :
Ils étoient nuds : l’un près de mon visage,
Porte un flambeau pour me voir de plus près ;
L’un tient des fers, dont j’ignore l’usage ;
Et celui-ci se joue avec des rêts.
C’est lui, c’est lui ! Vîte, qu’on le saisisse,
S’écrie alors le plus malin de tous,
Tenez-le bien : Thaïs, dans son courroux,
L’a désigné, nous lui devons justice.
Rien n’est plus sot, vous le voyez, amis,
Qu’un infidèle, alors qu’il est surpris.
Vous voilà donc, le beau coureur nocturne ?
Lorsque Thaïs veille dans les soupirs ;
À la faveur de la nuit taciturne,
Vous avez cru nous voiler vos plaisirs ?
On vous guettoit : point de grace ; qu’il meure,
Lui qui coûta des pleurs à la beauté !
Thaïs gémit, et l’attend à cette heure
Qu’il consacroit à l’infidélité :
Thaïs, hélas ! Digne d’une autre chaîne ;
Thaïs semblable à l’aube d’un beau jour,
Et qui ne peut exhaler son haleine,
Sans envoyer des parfums à l’amour.

Après ces mots, la brigade enfantine
S’arme de traits, de fers charge mes piés,
En charge encor ma main qui se mutine,
Et m’investit de noeuds multipliés.
Ah ! Dit l’un d’eux, accordons-lui sa grace ;
Il se repent, il jure, foi d’amours,
D’aimer Thaïs et de l’aimer toujours :
Est-il forfait qu’un tel serment n’efface ?
Une autre fois, me dit-il à voix basse,
Lorsque la nuit couvrira l’horizon,
N’affecte point une imprudente audace,
Et souviens-toi de garder la maison.
À mes regards la tienne se présente,
Ô ma Thaïs, le rémords m’y conduit :
Je viens m’offrir au courroux d’une amante :
Elle menace, et bientôt s’attendrit :
Ses yeux charmans où l’amour se déploie,
Parmi les pleurs étincellent de joie :
Son sein échappe aux voiles envieux,
Palpite et bat sous la main du coupable :
Nous étions seuls, j’étois plus amoureux,
Et ma Thaïs n’est point inexorable.
Je profitai d’un heureux abandon ;
Et, rassemblant tout le feu qui m’anime,
Je ne pouvois me reprocher un crime,
Qui me valoit un aussi doux pardon.

Collection: 
1754

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