Le Dévouement

I

Je rends grâce au Seigneur : il m'a donné la vie !
La vie est chère à l'homme, entre les dons du ciel ;
Nous bénissons toujours le Dieu qui nous convie
Au banquet d'absinthe et de miel.
Un noeud de fleurs se mêle aux fers qui nous enlacent ;
Pour vieillir parmi ceux qui passent,
Tout homme est content de souffrir ;
L'éclat du jour nous plaît ; l'air des cieux nous enivre.
Je rends grâce au Seigneur : - c'est le bonheur de vivre
Qui fait la gloire de mourir !

Malheureux le mortel qui meurt, triste victime,
Sans qu'un frère sauvé vive par son trépas,
Sans refermer sur lui, comme un Romain sublime,
Le gouffre où se perdent ses pas !
Infortuné le peuple, en proie à l'anathème,
Qui voit, se consumant lui-même,
Périr son nom et son orgueil,
Sans que toute la terre à sa chute s'incline,
Sans qu'un beau souvenir reste sur sa ruine,
Comme un flambeau sur un cercueil !

II

Quand Dieu, las de forfaits, se lève en sa colère,
Il suscite un Fléau formidable aux cités,
Qui laisse après sa fuite un effroi séculaire
Aux murs, longtemps inhabités.
D'un vil germe, ignoré des peuples en démence,
Un Géant pâle, un Spectre immense
Sort et grandit au milieu d'eux ;
Et la Ville veut fuir, mais le Monstre fidèle,
Comme un horrible époux, la couvre de son aile,
Et l'étreint de ses bras hideux !

Le peuple en foule alors sous le mal qui fermente
Tombe, ainsi qu'en nos champs la neige aux blancs flocons ;
Tout succombe, et partout la mort qui s'alimente
Renaît des cadavres féconds.
Le monstre l'une à l'autre enchaîne ses victimes ;
Il les traîne aux mêmes abîmes ;
Il se repaît de leurs lambeaux ;
Et, parmi les bûchers, le deuil et les décombres,
Les vivants sans abris, tels que d'impures ombres,
Errent loin des morts sans tombeaux.

Quand le cirque s'ouvrait, aux jours des funérailles,
Tous les Romains en paix, par leurs licteurs couverts,
Voyaient de loin lutter les captifs des batailles,
Livrés aux tigres des déserts.
Ainsi dans leur effroi les nations s'assemblent ;
Un long cri monte aux cieux qui tremblent,
Au loin de mers en mers porté.
Le monde armé, craignant l'Hydre aux ailes rapides,
Garde sous leur fléau ces mourants homicides,
Et les menace, épouvanté !

III

Alors n'est-il pas vrai, sybarites des villes,
Que les jeux sont plus doux, et les plaisirs meilleurs,
Lorsqu'un mal plus affreux que les haines civiles
Sème en d'autres murs les douleurs ?
Loin des couches de feu qu'infecte un germe immonde,
Qu'avec charme l'enfant du monde
Sur un lit parfumé s'endort !
Et qu'on savoure mieux l'air natal de la vie,
Quand tout un peuple en deuil, qui pleure et nous envie,
Respire ailleurs un vent de mort !

Chacun reste absorbé dans un cercle éphémère.
La mère embrasse en paix l'enfant qui lui sourit,
Sans s'informer des lieux où le sein d'une mère
Est mortel au fils qu'il nourrit !
Quelque pitié vulgaire au fond des coeurs s'éveille,
Entre les fêtes de la veille
Et les fêtes du lendemain ;
Car tels sont les humains, plaindre les importune.
Ils passent à côté d'une grande infortune,
Sans s'arrêter sur le chemin.

IV

Quelques hommes pourtant, qu'un feu secret anime,
Se lèvent de la foule, et chacun dans leurs yeux
Cherche quel beau destin, quel avenir sublime
Rayonne sur leurs fronts joyeux. -
Un triomphe éclatant peut-être les réclame ?
Quel espoir enivre leur âme ?
Quel bien ? quel trésor ? quel honneur ?... -
Ainsi toujours, hélas ! dans ce monde stérile,
Si la vertu paraît, à son aspect tranquille
Nous la prenons pour le bonheur !

Ô peuples ! ces mortels, qu'un Dieu guide et seconde,
Vont d'un pas assuré, d'un regard radieux,
Combattre le fléau devant qui fuit le monde :
Adressez-leur vos longs adieux.
Et vous, ô leurs parents, leurs épouses, leurs mères !
Contenez vos larmes amères ;
Laissez les victimes s'offrir ;
Ne les poursuivez pas de plaintes téméraires ;
Devaient-ils préférer aucun d'entre leurs frères
À ceux pour qui l'on peut mourir ?

Bientôt s'ouvre pour eux la cité solitaire.
Mille spectres vivants les appellent en pleurs,
Surpris qu'il soit encore un. mortel sur la terre
Qui vienne au cri de leurs douleurs.
Ils parlent ; et déjà leur voix rassure et guide
Ces peuples qu'un fléau livide
Pousse au tombeau d'un bras de fer,
Et le monstre, attaqué dans les murs qu'il opprime,
Frémit comme Satan, quand, sauveur et victime,
Un Dieu parut dans son enfer !

Ils contemplent de près l'hydre non assouvie.
Pour ravir ses secrets résignés à leur sort,
Leur art audacieux lui dispute la vie,
Ou l'interroge dans la mort.
Quand leurs secours sont vains, leur prière console.
Le mourant croit à leur parole
Que le ciel ne peut démentir ;
Et si le trépas même, enfin, frappe leur tête,
De l'apôtre serein l'humble voix ne s'arrête
Qu'au dernier souffle du martyr !

V

Ô mortels trop heureux ! qui pourrait vous atteindre,
Vous qui domptez la mort en affrontant ses coups ?
Lorsqu'en vous admirant la foule ose vous plaindre
Je vous suis de mes pleurs jaloux.
Infortuné ! jamais, victime volontaire,
Je n'irai, pour. sauver la terre,
Braver un fléau dévorant,
Ni, calmant par mes soins ses douleurs meurtrières,
Mêler ma plainte amie et mes saintes prières
Aux soupirs impurs d'un mourant !

Hélas ! ne puis-je aussi m'immoler pour mes frères ?
N'est-il plus d'opprimés ? n'est-il plus de bourreaux ?
Sur quel noble échafaud, dans quels murs funéraires
Chercher le trépas des héros ?
Oui, que brisant mon corps, la torture sanglante,
Sur la croix, à ma soif brûlante
Offre le breuvage de fiel ;
Fier et content, Seigneur, je dirai vos louanges ;
Car l'ange du martyre est le plus beau des anges
Qui portent les âmes au ciel !

Collection: 
1822

More from Poet

  • Mivel ajkamhoz ért színültig teli kelyhed, és sápadt homlokom kezedben nyughatott, mivel beszívtam én nem egyszer drága lelked lehelletét, e mély homályú illatot, mivel titokzatos szived nekem kitárult, s olykor megadatott beszédét hallanom, mivel ott zokogott, mivel mosolyra lágyult szemed...

  • A lába csupaszon, a haja szétziláltan, kákasátorban ült, térdéig meztelen; azt hittem hirtelen, hogy tündérre találtam, s szóltam: A rétre, mondd, eljönnél-e velem? Szeméből rámsütött az a parázs tekintet, amely, ha enged is, szép és győztes marad, s szóltam: A szerelem hónapja hív ma minket,...

  • Olyan a szerelem, mint a gyöngyszemű harmat, amelytől fénylik a szirom, amelyből felszökik, kévéjében a napnak, szivárvány-szikra, miliom. Ne, ne hajolj reá, bárhogy vonz e merész láng, ez a vízcseppbe zárt, percnyi kis fényözön - mi távolabbról: mint a gyémánt, az közelebbről: mint a könny.

  • Pourquoi donc s'en est-il allé, le doux amour ?
    Ils viennent un moment nous faire un peu de jour,
    Puis partent. Ces enfants, que nous croyons les nôtres,
    Sont à quelqu'un qui n'est pas nous. Mais les deux autres,
    Tu ne les vois donc pas, vieillard ? Oui, je les vois,...

  • Puisque nos heures sont remplies
    De trouble et de calamités ;
    Puisque les choses que tu lies
    Se détachent de tous côtés ;

    Puisque nos pères et nos mères
    Sont allés où nous irons tous,
    Puisque des enfants, têtes chères,
    Se sont endormis avant nous ;...