Le Cap Éternité/Chant VII

De nouveau, la douleur envahissait mon être.
Dès que la nuit trop brève au Levant eût pâli,
Quand furent disparus le Silence et l’Oubli,
J’ai senti le remords de mon passé paraître.

De nouveau la douleur envahissait mon être.

Sur le premier degré du grand cap Trinité,
La mère de Jésus se dressait dans l’aurore...
Cependant que ma voix troublait l’écho sonore,
Le cri silencieux de mon cœur est monté

Plus haut que le sommet du grand cap Trinité.

― « Ave ! Je vous salue, ô Vierge immaculée !
Ave ! Je vous salue, ô Mère du bon Dieu !
Reine qui triomphez dans le royaume bleu
Dont vous portez au front la couronne étoilée,

Ave ! Je vous salue, ô Vierge immaculée !...

Mais j’ai perdu le droit de contempler le ciel,
Et je suis trop méchant pour prier, Vierge Sainte ;
J’hésite à vous parler ; je m’approche avec crainte
De ce vertigineux et formidable autel,

Car j’ai perdu le droit de contempler le ciel.

Pourtant, des affligés vous êtes l’espérance,
Et vous tendez les bras au pécheur repentant :
Son soupir étouffé, votre oreille l’entend
Comme les chants joyeux de la tendre innocence,

Puisque des affligés vous êtes l’espérance,

Ô Reine des Martyrs, Mère du Rédempteur,
Venez à mon secours au bord du précipice !...
Votre âme est un Miroir de céleste Justice,
Et votre corps sans tache est l’Urne de l’Honneur,

Ô Reine des Martyrs, Mère du Rédempteur !

Je veux guérir ma peine en chantant ma patrie.
Faites qu’au rêve bleu de votre doux regard
Descende sur mon œuvre un rayon du grand art !
Donnez plus de noblesse à ma lyre attendrie :

Je veux guérir ma peine en chantant ma patrie.

Laissez venir à moi le chœur des Séraphins.
Pour que les beaux yeux purs toujours puissent me lire,
Faites qu’aux harpes d’or il accorde ma lyre,
Et qu’il berce mon rêve avec ses chants divins.

Laissez venir à moi le chœur des Séraphins.

Étoile du Matin, donnez-moi la lumière !
Pour chanter dignement les martyrs et les preux,
Pour qu’en un style clair, sonore et généreux,
J’évoque ces grands morts couchés dans leur poussière,

Étoile du Matin, donnez-moi la lumière !

Devant votre infini je vous aime à genoux.
L’amour qui monte à vous, monte jusqu’à Dieu même :
Vous aimer, c’est lui dire avec l’esprit : Je t’aime ;
C’est l’adorer deux fois que l’adorer en vous !

Souffrez qu’un malheureux vous adore à genoux.

Oui, certes, je le sais. Dieu seul est adorable.
Mais puisqu’un sang divin en vous a palpité,
Et qu’en vous se complaît la Sainte Trinité,
Votre nom douloureux est plus que vénérable :

Par le sang de Jésus vous êtes adorable !

Tant que sur les linceuls les mères pleureront,
Et tant que la candeur souffrira pour le crime,
Jamais croyant, épris d’un idéal sublime,
Vers un culte plus beau ne lèvera son front,

Tant que sur les linceuls les mères pleureront !

Je viens vous implorer au saint nom du Calvaire.
Osant, malgré ma honte et mon indignité,
Comparer aux douleurs de la Divinité
Le juste châtiment d’un pécheur sur la terre,

Je viens vous implorer au saint nom du Calvaire.

Au gibet de la Vie on m’a crucifié !
J’ai ployé sous le faix et j’ai subi l’injure ;
Une tourbe odieuse a raillé ma torture,
Quand, trahi, sans espoir, éperdu, j’ai crié.

Au gibet de la Vie on m’a crucifié !

Refuge des Pécheurs, Rose Mystérieuse,
Lumière qui montrez la rive aux naufragés
Et la porte du ciel aux pauvres affligés,
Ne m’abandonnez pas dans la tourmente affreuse !

Refuge des pécheurs, Rose mystérieuse !

Daignez vous rappeler l’enfant qui vous aimait !
Celui qui maintenant affronte les orages,
Vous cherchait du regard au milieu des nuages
Que son illusion en anges transformait.

Daignez vous rappeler l’enfant qui vous aimait !

Il vous voyait sourire au fond de l’Empyrée.
Il vous priait tout bas, mains jointes et tremblant ;
Et quand il s’endormait dans son petit lit blanc
En pressant sur son cœur votre image sacrée,

Il vous voyait sourire au fond de l’Empyrée.

Front sublime, incliné sur l’aurore de Dieu,
Ne vous détournez plus de ma longue agonie,
Pour qu’au rayonnement de la grâce infinie
Le repentir me vienne à l’heure de l’adieu,

Front sublime, incliné sur l’aurore de Dieu !

Ave !... par un sanglot ma prière s’achève...
Mais l’âme à votre cœur parle mieux que la voix...
Quand je m’endormirai pour la dernière fois,
Comme au temps du lit blanc daignez bénir mon rêve !

Ave !... par un sanglot ma prière s’achève.

Collection: 
1891

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